Zlabia.com Le Rendez-vous des Juifs d'Algerie





lettre d'un professeur agrégé à Bouteflika

Envoyé par corine 
Re: reponse/ à Corinne et Kahina
07 avril 2008, 05:40
salut cher compatriote abraham

je viens de trouver ce texte egalement
je vous le transmet a toutes fins utiles.
j'aime beaucoup benjamin stora que j'ai l'honneur de connaitre depuis
1991.

je trouve qu'il fait un travail interessant au profit de tous sans aucune exclusive et cela d'autant qu'il est de confession juive et qu'il reste comme vous tres attaché a son pays, l'algerie.

Tres amicalement

mohamed

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les juifs de l’Algérie coloniale


L’histoire des juifs d’Algérie à l’époque coloniale est souvent mal connue. Un événement fait exception : le décret Crémieux qui accorda la nationalité française en bloc à tous les juifs algériens. Le violent antisémitisme qui s’était développé parmi les Européens d’Algérie est souvent ignoré, ainsi que l’abolition en 1940 du décret Crémieux.
Nous vous proposons une brève histoire des juifs d’Algérie reprise de l’ouvrage « D’une rive à l’autre - La guerre d’Algérie, de la mémoire à l’histoire » de Hassan Remaoun et Gilles Manceron [RM], suivie d’extraits de « Les trois exils. Juifs d’Algérie » où Benjamin Stora revient sur l’abolition puis le difficile rétablissement du décret Crémieux .

L’histoire des juifs d’Algérie
par Hassan Remaoun et Gilles Manceron


Les Juifs étaient parmi les plus anciennes populations d’Afrique du Nord où ils vivaient très probablement déjà à l’époque de Carthage et certainement deux siècles avant notre ère. Si, pendant l’été 1962, à la fin de la guerre d’Algérie, quelque 140 000 Juifs se sont trouvés mêlés aux "rapatriés" arrivant en France, ils avaient une histoire différente de celle des Européens d’Algérie. A l’époque romaine et au début de l’expansion du christianisme, les Juifs du Maghreb étant prosélytes, des tribus berbères s’étaient converties au judaïsme, si bien que les Juifs d’Algérie se définissaient volontiers comme "Juifs berbères". Quand les Arabes étaient arrivés au VII-ème siècle, les Juifs, comme les chrétiens, étaient devenus des dhimmi, c’est-à-dire des membres de communautés protégées, faites de gens du Livre, mais aussi des sujets de seconde zone, puisque le statut du dhimmi était à la fois un statut de protection sans comparaison avec celui, à la même époque, des minorités religieuses de l’Europe chrétienne et un statut inégalitaire. [...]


Avec la conquête de l’Algérie, en 1830, les Juifs algériens, dont quelques-uns connaissaient le français, avaient accueilli assez favorablement l’arrivée des nouveaux arrivants et étaient devenus des sortes d’intermédiaires entre colonisateurs et autochtones. Étant vite entrés en contact avec les représentants des Juifs de France, émancipés depuis la Révolution française, c’est-à-dire devenus des citoyens français relevant individuellement de la loi française au prix de la perte de leur "statut personnel" juif antérieur (juridiction des tribunaux rabbiniques sur les mariages, les divorces et les successions), les Juifs d’Algérie avaient subi leur influence et aspiré à la même condition. La situation des Juifs français, pour qui le domaine religieux relevait dorénavant, comme pour les autres citoyens français, de la vie privée, et qui s’intégraient progressivement (non sans provoquer des réactions racistes à leur égard) dans la société française, leur avait semblé préférable au statut de dhimmi qui leur était en quelque sorte conservé par la France au début de la colonisation. L’administration militaire française avait supprimé peu à peu l’autonomie interne des communautés juives d’Algérie [...] A partir de 1845-1850, les Juifs d’Algérie, soutenus par les libéraux et des notables musulmans, avaient commencé à revendiquer la citoyenneté française. Elle leur avait été accordée d’abord par Napoléon III, par le sénatus-consulte de mars 1870, puis, après la proclamation de la République, par le décret connu sous le nom de décret Crémieux, précisé en octobre 1871 par l’Assemblée nationale.


Tout de suite contesté par l’armée et les Européens de "souche" qui en ont réclamé l’abrogation, ce décret a été la cible d’un antisémitisme extrêmement virulent qui a connu une forte poussée au moment de l’affaire Dreyfus, les suffrages des Européens d’Algérie offrant aux anti¬sémites déclarés, dans les années 1894-1902, leur seule représentation parlementaire. A Oran, en 1895, à la suite d’une campagne déclenchée par un Belge devenu français, Paul Bidaine, un parti antisémite s’est emparé, entre 1896 et 1905, du conseil municipal, soumettant les Juifs à des mesures vexatoires et faisant régner un climat de haine conduisant en mai 1897 à des journées d’émeutes accompagnées de violences et de saccages. A Alger, en 1898, alors que le chef de file des antisémites était un immigré italien, Maximiliano Milano dit " Max Régis ", maire d’Alger et président de la Ligue antijuive, Édouard Drumont était élu député, tandis qu’à Constantine, le maire, Émile Morinaud, licenciait les employés municipaux juifs. Cet antisémitisme avait persisté dans les années précédant la guerre de 14 et repris dans les années 1920 avec les Unions latines sur lesquelles se sont appuyées à Oran les municipalités antisémites du docteur Molle et de Jean Ménudier, puis, dans les années 1930, plus influentes encore que les sections locales des partis d’extrême droite comme le PSF ou le PPF, les Amitiés latines de l’abbé Gabriel Lambert, maire depuis 1933, qui prit ouvertement pour programme à partir de 1937 la lutte contre les Juifs et les communistes.

Et tandis qu’Oran subissait la fascination de l’ordre fasciste et même nazi (un de ses quotidiens, Le Petit Oranais, portait la croix gammée dans son titre), Alger était en 1935 la première des villes françaises, avant Paris, pour le nombre d’adhérents au mouvement du colonel de la Rocque, Croix-de-Feu puis PSF après sa dissolution comme "ligue factieuse" par le gouvernement de Paris, dont les militants défilaient en uniforme et au pas cadencé, tout comme ceux de la section algéroise du PPF de Doriot, dirigée par Victor Arrighi, alors qu’à Constantine, le maire Émile Morinaud créait les Amitiés françaises pour "organiser la défense contre les Israélites de Constantine". Plusieurs campagnes se développèrent, alimentées par l’exploitation tapageuse de faits divers.


Quand, le 7 octobre 1940, le gouvernement de Vichy abrogea le décret Crémieux, retirant aux Juifs tous leurs droits à la citoyenneté française et refaisant d’eux des "indigènes" au même titre que les Musulmans, ce n’était pas uniquement le résultat de la politique décidée en métropole mais aussi la conséquence de cet antisémitisme persistant au sein de la société européenne d’Algérie. 12 000 enfants juifs furent expulsés de l’enseignement public primaire, secondaire et professionnel à la rentrée de 1941, le nombre d’enfants écartés se montant à 18 000 l’année suivante. Seize camps, de vocations diverses, souvent gardés par d’anciens légionnaires ouvertement pro-nazis, furent ouverts en Algérie, dont certains regroupaient les soldats juifs algériens de la classe 1939, contraints à des travaux forcés.

Les Anglo-Américains, en arrivant en novembre 1942, au prix de lourdes pertes (les autorités françaises d’Algérie leur ayant infligé 1 500 morts, enterrés dans le cimetière qui domine encore Oran), y dénombrèrent au total 2 000 détenus.[...] Ce ne fut que le 20 octobre 1943, soit près d’un an après le débarquement allié en Afrique du Nord - le Service des questions juives d’Alger étant resté ouvert jusqu’en mars 1943 -, que le Comité français de libération nationale accéda à la demande des Juifs d’Algérie de recouvrer leurs droits politiques de citoyens, demande à laquelle les notables musulmans, qui formulaient la même pour tous les Algériens, étaient loin d’être hostiles. Quant aux responsables européens de la répression anti¬juive, ils ne firent, pour la plupart, l’objet d’aucune poursuite.


La mémoire française a préféré retenir l’idée d’une cohabitation difficile entre les Juifs et les Musulmans d’Algérie, projetant rétrospectivement les conflits venant après la Seconde Guerre mondiale, alors que les incidents furent rares entre ces deux communautés et souvent suscités par des antisémites européens à la recherche de troupes pour commettre des violences.
La dernière étape du processus d’intégration des Juifs d’Algérie à la communauté européenne correspondit à la guerre d’Algérie. En 1956, un appel du FLN les incitait à soutenir le mouvement pour l’indépendance, ce que firent un petit nombre d’entre eux, mais la grande partie était déchirée entre ses racines algériennes et son attachement à la France, où se mêlaient, selon les cas, un attachement au statut de citoyenneté qu’elle leur avait finalement assuré et une nostalgie de la société coloniale, où ils occupaient, malgré tout, pour beaucoup d’entre eux, une situation privilégiée par rapport à la masse de la population. [...] Les Juifs d’Algérie avaient peur que la France ne se soucie que des Français ou des Européens "de souche" et que leur citoyenneté française, rétablie moins de vingt ans plus tôt, ne soit de nouveau remise en cause. A leur demande, les accords d’Évian précisèrent que les Juifs d’Algérie seraient considérés comme européens et la France prit même, en 1961, à la veille de l’indépendance, une mesure donnant la citoyenneté française aux quelques Juifs habitant, hors des limites des départements d’Algérie, les territoires du Sud conquis en 1870, qui n’étaient pas citoyens français et conservaient leur statut personnel.

Hassan Remaoun et Gilles Manceron
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L’abolition, puis le rétablissement du décret Crémieux
par Benjamin Stora

L’abolition

La loi du 3 octobre 1940 portant « statut des juifs » leur interdit l’exercice d’un certain nombre de professions notamment dans la fonction publique. Le 7 octobre 1940, le lendemain de l’adoption du « statut des juifs » légalisant l’antisémitisme vichyssois, le ministre de l’intérieur Marcel Peyrouton [1] abolit le décret Crémieux de naturalisation des juifs algériens. Le 11 octobre, il retire aux juifs le droit de se faire naturaliser [2]. Cette disposition est appliquée en Algérie aussitôt après sa publication au Bulletin officiel du Protectorat le 3 novembre 1940. Cette fois il ne s’agit plus de ramener les Juifs à la prétendue égalité avec les indigènes musulmans, mais bien de frapper les seuls Juifs par des mesures discriminatoires.

Ce retrait, cette éjection hors de la citoyenneté française est un immense traumatisme pour une communauté qui avait multiplié les marques d’amour envers la République sur laquelle se focalisaient toutes les espérances. Par simple décret, la France peut retirer ce qu’elle a donné… Plus rien désormais ne sera comme avant. La leçon ne sera pas oubliée. [...]

Les archives déposées à Aix-en-Provence pour la période de la Seconde Guerre mondiale concernent le statut des juifs dans le Constantinois où vit une importante communauté, en majorité pauvre. Environ 14 000 personnes sont recensées en 1936 pour la seule ville de Constantine. Une ville qui abrite la plus forte proportion d’« israélites d’origine algérienne » : 13 % si on tient compte du total de la population communale, 18 % si on ne tient pas compte de la population dite « éparse » mais seulement de celle de la ville [3] Présents dans l’ensemble du Constantinois, les juifs sont aussi enracinés, parfois depuis des siècles, dans de gros bourgs ou des villes moyennes telles Ain Beïda (940 juifs recensés en 1936), Biskra (926), Bône (2 390), Sétif (3888), Guelma (769), Philippeville (494), Khenchela (392), Msila (318) ou Saint-Arnaud (333). En dépit d’une élévation du niveau de vie après la Première Guerre mondiale, l’activité économique et sociale des juifs se cantonne aux métiers traditionnels. Bonnes et ménagères (516 personnes), couturières (169), employés de commerce (323), journaliers (60), cordonniers (306), menuisiers (110), peintres (128), tailleurs (445), épiciers (286), bijoutiers et ouvriers bijoutiers (139) forment le gros de la communauté.

Ville de tradition religieuse, Constantine compte par ailleurs, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, 41 rabbins contre 27 à Alger, 25 à Oran ou 13 à Tlemcen. Les mesures prises par le régime de Vichy sont donc venues frapper de plein fouet cette communauté pauvre et pieuse. [...]
[La] sensation d’exil intérieur est particulièrement forte s’agissant de l’enseignement. Le fait d’être chassé de l’école de la République restera incontestablement le traumatisme le plus vif de cette période. En 1940, 465 professeurs ou instituteurs sont sommés de quitter leur emploi du jour au lendemain. Une nouvelle campagne antijuive contre les étudiants et les écoliers, pour l’instauration d’un numerus clausus, aboutit à la loi du 21 juin 1941, promulguée en Algérie le 23 août.

Aux termes de cette loi, les juifs ne sont plus admis dans les facultés ou instituts d’études supérieures que dans une proportion de 3 % de l’effectif des étudiants non juifs inscrits l’année précédente. À la rentrée universitaire de 1941, 110 candidats juifs seulement sont acceptés à l’université d’Alger sur 652 postulants. L’enseignement public, primaire ou secondaire, reste accessible dans les proportions de 14 % des effectifs de chaque école. Une loi du 19 octobre 1942 réduit le numerus clausus à 7%. L’historien Michel Ansky dans son livre Les Juifs d’Algérie remarque que cette loi est appliquée en Algérie avant même sa promulgation. En fonction de ce texte, 19 484 élèves sont immédiatement exclus des écoles publiques. La loi interdit aux élèves juifs de l’enseignement privé de se présenter aux concours et examens d’un niveau supérieur au certificat d’études.Cette mesure, qui touche ainsi l’ensemble de la population scolarisée à la hâte par les institutions juives, est particulièrement ressentie par les familles.


Dès la fin de l’année 1940, en effet, le Consistoire a improvisé une instruction de remplacement, en mettant sur pied un enseignement primaire privé avec l’aide des instituteurs juifs révoqués. À la fin de l’année scolaire 1941-1942, soixante-dix écoles primaires et six écoles secondaires fonctionnent, difficilement. Dans ce pays où n’existe pas encore, contrairement au Maroc, le réseau des écoles de l’Alliance israélite universelle, cette exclusion mise en oeuvre immédiatement et de manière restrictive est un choc, dont témoignera notamment Jacques Derrida.

Né à Alger le 15 juillet 1930, il est âgé d’une dizaines d’années lorsque s’installe le régime de Vichy. Le jour de la rentrée scolaire, en octobre 1941, le proviseur de son lycée le convoque et le congédie. Le tout jeune adolescent n’est plus français, et en tant que juif est exclu de l’enseignement. Il gardera de cet affront une blessure ineffaçable mais constitutive car elle fera de lui, surtout à la fin de sa vie, le philosophe des sans-papiers et des sans-abri, l’intellectuel éperdument épris de justice. [...]

Réactions communautaires

On ne s’étonnera pas de voir la plupart des Européens d’Algérie approuver cette abrogation du décret Crémieux en 1940. Les bulletins confidentiels d’information trouvés dans les archives d’Aix-en Provence soulignent que « l’abrogation du décret est unanimement approuvée par les Européens »… Le député-maire de Constantine, Emile Morinaud, s’exclame : « La joie s’est emparée des Français quand ils ont appris que le gouvernement Pétain abrogeait l’odieux décret. Nous avons toujours revendiqué contre les juifs la cause de la prépondérance française. Nous n’avons qu’à louer le gouvernement Pétain d’avoir répondu à l’appel des Français de ce pays opprimé depuis 70 ans ! » [...]

Les juifs d’Algérie ne seront pas déportés vers les camps de la mort. [...] [Mais] seize camps de travaux forcés à vocations diverses, souvent gardés par d’anciens légionnaires ouvertement pronazis, furent cependant établis en Algérie, dont certains regroupaient les soldats juifs algériens de la classe 1939. À leur arrivée, en novembre 1942, les Anglo-américains dénombrèrent 2 000 détenus dans ces camps.

Le lent rétablissement

[...] Le 8 novembre 1942, une escadre américaine débarque, au prix de lourdes pertes (1500 morts enterrés dans le seul cimetière qui domine encore Oran), un important corps expéditionnaire à Alger, à Casablanca et à Oran. Une poignée de résistants, parmi lesquels émerge la figure de José Aboulker, ont préparé ce débarquement. La population juive accueille avec enthousiasme les troupes américaines. [...]
Un accord provisoire est signé entre le général américain Clark et l’amiral Darlan alors présent à Alger. Le général Giraud prend le commandement en chef des troupes puis, après l’assassinat de Darlan le 24 décembre 1942, reçoit le commandement civil et militaire. C’est la délivrance, mais les mesures prises par Vichy ne seront annulées qu’après bien des hésitations et des batailles livrées par les représentants de la communauté juive.

Le rétablissement du décret Crémieux sera long à venir : près d’une année après le débarquement anglo-américain de novembre 1942. La responsabilité de ces « lenteurs » incombe d’abord au général Giraud. C’est, clairement, un conservateur antisémite qui reproche aux juifs d’avoir « trop bruyamment manifesté leur joie au passage des troupes américaines », et « d’aspirer à leur revanche puisqu’ils demandent avec quelque véhémence l’abolition de toute législation antijuive » [4]. Le nouveau pouvoir qui s’installe à Alger ne veut pas du rétablissement de la situation antérieure. Il refuse d’incorporer les recrues juives dans l’armée qui part pour l’Italie et la Provence, en l’expliquant ainsi dans une note du 30 janvier 1943 : « Cette mesure a paru nécessaire afin d’éviter que la situation d’ancien combattant ne puisse être acquise par l’ensemble de la population juive et pour ne pas engager l’avenir sur la question du statut qui leur sera donné après la guerre. » Les juifs seront donc versés dans des bataillons spéciaux de travailleurs non combattants, en Algérie ou au Maroc, sous le nom de « pionniers ».


Giraud choisit comme nouveau gouverneur de l’Algérie Marcel Peyrouton, l’ancien ministre de Vichy, l’homme qui précisément avait décidé l’abrogation du décret Crémieux ! Ce dernier freine manifestement le retour à la normale. Le numerus clausus est abandonné à la mi-février 1943 et, en mars, Marcel Peyrouton déclare que 3500 fonctionnaires juifs licenciés seront réintégrés. Mais au printemps 1943, le décret Crémieux n’est toujours pas rétabli. Pire : le 14 mars 1943, Peyrouton annonce qu’il va rompre avec la législation vichyssoise et que la législation postérieure au 22 juin 1940 est dénuée de toute valeur légale... à l’exception de l’abrogation du décret Crémieux. Il est donc promulgué au Journal officiel du 18 mars 1943, à la grande surprise de tous les membres de la communauté juive, une ordonnance d’abolition... du décret Crémieux ! Cette nouvelle loi raciale ne reprend même pas les exceptions prévues en faveur des anciens combattants décorés. L’argument est toujours le même : à vouloir satisfaire les juifs, le risque est grand de mécontenter les musulmans (à qui, d’ailleurs, on ne demande jamais leur avis...) [5] [...]


Dans l’esprit des nouvelles autorités [...] un rétablissement du décret Crémieux pourrait provoquer des troubles chez les indigènes musulmans et susciter l’exaspération de la majorité européenne restée vichyste et sur laquelle veut s’appuyer Giraud. Afin d’éviter les polémiques, Giraud confirme l’abrogation du décret en Mars 43, mesure qui ne manque pas de susciter un tollé de la part des responsables de la communauté juive, lesquels n’auront de cesse de se voir rétablis dans leur citoyenneté française et dans leurs droits. [...] Le plus simple à leurs yeux était donc de rétablir le décret Crémieux et d’abroger la législation de Vichy. Décision que ni Giraud, ni De Gaulle, lorsqu’il arrive au pouvoir en mai 43, ne se résoudront à prendre. [...]


Il faudra des centaines de pétitions pour que le 22 octobre 1943, un an après le débarquement anglo-américain, le décret Crémieux soit rétabli et que les juifs d’Algérie redeviennent Français.[...]
La satisfaction est générale, mais la blessure reste profonde, comme en témoigne, encore une fois, Jacques Derrida : « C’est une expérience qui ne laisse rien intact, un air qu’on ne cesse plus jamais de respirer. Les enfants juifs sont expulsés de l’école. Bureau du surveillant général : tu vas rentrer chez toi, tes parents t’expliqueront. Puis les Alliés débarquent, c’est la période du gouvernement bicéphale (de Gaulle-Giraud) : les lois raciales maintenues près de six mois, sous un gouvernement français "libre".

Les copains qui ne vous connaissent plus, les injures, le lycée avec les enseignants expulsés sans un murmure de protestation de collègues. On m’y inscrit, mais je sèche pendant un an. [...] Avec d’autres, j’ai perdu puis recouvré la citoyenneté française, je l’ai perdue pendant des années sans en avoir d’autre. Pas la moindre, vois-tu. [...] Une citoyenneté, par essence, ça ne pousse pas comme ça, c’est pas naturel, mais son artifice et sa précarité apparaissent mieux, comme dans l’éclair d’une relation privilégiée, lorsque la citoyenneté s’inscrit dans la mémoire d’une acquisition récente : par exemple la citoyenneté française accordée aux juifs d’Algérie par le décret Crémieux en 1870. Ou encore dans la mémoire traumatique d’une "dégradation", d’une perte de la citoyenneté. » [6]

Benjamin Stora

Notes

[RM] Hassan Remaoun et Gilles Manceron, D’une rive à l’autre - La guerre d’Algérie, de la mémoire à l’histoire, 1993, éd Syros.
Benjamin Stora, Les trois exils. Juifs d’Algérie », sept. 2006, éd. Stock.. L’ouvrage de Benjamin Stora est présenté sur ce site : « les trois exils - Juifs d’Algérie » de Benjamin Stora.
[1] Marcel Peyrouton a été secrétaire général du Gouvernement général à Alger avant de devenir résident en Tunisie, puis au Maroc. Il expliquait la nécessaire abrogation du décret Crémieux par « l’antijudaïsme instinctif des musulmans. », donc par la nécessité de réparer une injustice à leur égard.
[2] Sur la chronologie de cette période décisive, voir Henri Mselatti, Les Juifs d’Algérie sous le régime de Vichy, Paris, éd l’Harmattan, 1999, 302 pages.
[3] Eugène Guernier (dir.), Encyclopédie coloniale et maritime, tome second, « Les villes, marchés de l’intérieur. Constantine », Paris, Éd. de l’Encyclopédie de l’Empire français, 1948.
[4] Charles-Robert Ageron, De l’Algérie française à l’Algérie algérienne, op. cit., p. 426. Le général Giraud n’était pas un cas à part dans l’armée d’Afrique qui comptait un grand nombre d’antisémites ouvertement déclarés.
[5] Cet argument est répété sans cesse par les Européens depuis la promulgation du décret Crémieux et ce, dès l’origine. L’insurrection de 1871 en Kabylie est ainsi expliquée comme une réaction musulmane au décret Crémieux.
[6] Jacques Derrida, La Contre-Allée, avec Catherine Malabou, Paris, La Quinzaine littéraire 1999, p. 87-88.
Re: lettre d'un professeur agrégé à Bouteflika
10 avril 2008, 09:49
Lettre aux Israélites d'Algérie
Quelque part en Algérie, le 1er octobre 1956

Le Front de libération nationale
A Monsieur le Grand Rabbin,

A Messieurs les membres du Consistoire israélite,
Aux élus et à tous les responsables de la communauté israélite d'Algérie,

Monsieur le Grand Rabbin,

Messieurs et chers compatriotes,

Le Front de libération nationale (FLN), qui dirige depuis deux ans la révolution anticolonialiste pour la libération nationale de l'Algérie, estime que le moment est venu où chaque Algérien d'origine israélite, à la lumière de sa propre expérience, doit sans aucune équivoque prendre parti dans cette grande bataille historique.
C'est aujourd'hui un fait notoire que la guerre de reconquête imposée au peuple algérien s'est définitivement soldée par un double échec militaire et politique.

Les généraux français eux-mêmes avec, à leur tête, le maréchal Juin, ne cachent plus l'impossibilité de venir à bout de la Révolution algérienne invincible.
Le gouvernement français, dans sa recherche actuelle d'une solution politique devenue inévitable, veut encore voler sa victoire au peuple algérien en poursuivant la pratique insensée de manœuvres grossières, vouées dès maintenant à un échec retentissant.

L'essentiel de ces manœuvres consiste à tenter d'isoler même partiellement le FLN en portant atteinte à l'unanimité nationale anticolonialiste désormais indestructible.
Vous n'ignorez pas, chers compatriotes, que le FLN, inspiré par une foi patriotique élevée et lucide, a déjà réussi à ruiner la diabolique politique de division qui s'est traduite dernièrement par le boycottage de nos frères commerçants mozabites, et qui devait s'étendre à l'ensemble des commerçants israélites.

Cette double tentative que nous avons étouffée dans l'oeuf était, comme par le passé, ourdie par la haute administration et mise en application par une poignée d'aventuriers escrocs au service de la police.
Les policiers mouchards et contre-terroristes assassins ont été exécutés non en raison de leur confession religieuse, mais uniquement parce qu'ennemis du peuple.
Le FLN, représentant authentique et exclusif du peuple algérien, considère qu'il est aujourd'hui de son devoir de s'adresser directement à la communauté israélite pour lui demander d'affirmer d'une façon solennelle son appartenance à la nation algérienne

Ce choix clairement affirmé dissipera tous les malentendus et extirpera les germes de la haine entretenus par le colonialisme français. Il contribuera en outre à recréer la fraternité algérienne brisée par l'avènement du colonialisme français.
Depuis la Révolution du 1er Novembre 1954, la communauté israélite d'Algérie, inquiète de son sort et de son avenir, a été sujette à des fluctuations politiques diverses.

Au dernier congrès mondial juif de Londres, les délégués algériens, contrairement à leurs coreligionnaires de Tunisie et du Maroc, se sont prononcés, à notre grand regret, pour la citoyenneté française.
Ce n'est qu'après les troubles colonialo-fascistes du 6 février, au cours desquels ont réapparu les slogans anti-juifs, que la communauté israélite s'est orientée vers une attitude neutraliste.

Par la suite, à Alger notamment, un groupe d'Israélites de toutes conditions a eu le courage d'entreprendre une action nettement anticolonialiste, en affirmant son choix raisonné et définitif pour la nationalité algérienne.
Ceux-là n'ont pas oublié les troubles anti-juifs colonialo-racistes qui, sporadiquement, se sont poursuivis en pogroms sanglants jusqu'au régime infâme de Vichy.

La communauté israélite se doit de méditer sur la condition terrible que lui ont réservée Pétain et la grosse colonisation : privation de la nationalité française, lois et décrets d'exception, spoliations, humiliations, emprisonnements, fours crématoires, etc.
Avec le mouvement Poujade et le réveil du fascisme qui menace, les juifs risquent de connaître de nouveau, malgré leur citoyenneté française, le sort qu'ils ont subi sous Vichy.

Sans vouloir remonter bien loin dans l'histoire, il nous semble malgré tout utile de rappeler l'époque où, en France, les juifs, moins considérés que les animaux, n'avaient même pas le droit d'enterrer leurs morts, ces derniers étant enfouis clandestinement la nuit n'importe où, en raison de l'interdiction absolue pour les juifs de posséder le moindre cimetière.
Exactement à la même époque, l'Algérie était le refuge et la terre de liberté pour tous les Israélites qui fuyaient les inhumaines persécutions de l'inquisition.
Exactement à la même époque, la communauté israélite avait la fierté d'offrir à sa patrie algérienne non seulement des poètes, des commerçants, des artistes, des juristes, mais aussi des consuls et des ministres.

Si le peuple algérien a regretté votre silence, il a apprécié la prise de position anticolonialiste des prêtres catholiques, comme ceux notamment des zones de guerre de Montagnac et de Souk Ahras, et même de l'archevêché qui, pourtant, dans un passé récent, s'identifiait encore à l'oppression coloniale.
C'est parce que le FLN considère les Israélites algériens comme les fils de notre patrie qu'il espère que les dirigeants de la communauté juive auront la sagesse de contribuer à l'édification d'une Algérie libre et véritablement fraternelle.
Le FLN est convaincu que les responsables comprendront qu'il est de leur devoir et de l'intérêt bien compris de toute la communauté israélite de ne plus demeurer «au-dessus de la mêlée», de condamner sans rémission le régime colonial français agonisant, et de proclamer leur option pour la nationalité algérienne.

Salutations patriotiques.
Re: lettre d'un professeur agrégé à Bouteflika
11 avril 2008, 10:44
Cher Mohamed,


Merci pour vos articles très interessants.

Vers les années 58/61, je discutais parfois avec des amis musulmans qui étaient membres du FLN lorsque je poursuivais mes études.

Ils m'assuraient que le modèle qu'allait suivre l'Algérie en ce qui concerne l'agriculture, l'économie, et politique, le développement du pays seront très similaires à ceux de l'Etat d'Israël. En fait, l'Algérie comptait bien sur ce dernier pour ajouter une voix à l'ONU en ce temps où l'indépendance n'était pas loin, et voulait garder des liens serrés avec les Juifs et Israël.

En ce temps là, le FLN comprenait bien aussi que les Juifs du monde entier avaient droit à leur pays, tout comme les Algériens.

Il semble que celà a mal tourné.

Les Algériens ont préféré plus tard une Algérie non-laïque, et alliée à la ligue Arabe qui était vouée à la destruction du micro pays Israel.

L'on pourrait remarquer le parallèle avec la Maroc et la Tunisie, où les Juifs en général ont fait partie de l'acquisition d'indépendance de ces pays, pour devoir s'enfuir plus tard vers Israel et ailleurs, à cause de la semée de haine anti-juive, crée par le Pan-Arabisme de Gamal Abdel Nasser.

Le progrés de ces pays a été bloqué.

Il est bon aussi de préciser de cette semée de haine a continué et divergé, et a atteint les Musulmans aussi, qui ont du s'enfuir par millions vers l'Europe et ailleurs, jusqu'à présent, et de nos jours.

Amitiés,

Abraham
Re: lettre d'un professeur agrégé à Bouteflika
11 avril 2008, 12:40
Cher ami

merci pour ton envoi que j'ai lu attentivement.
La prochaine fois si tu veux on pourra evoquer cette vaste question de la paix entre israeliens et palestiniens.
Pour ma part je m'attacherai a l'analyse politique de la question car l'instrumentalisation existe de part et d'autre.

Bien amicalement

voici un papier que j'ai trouvé interessant sur la question de la memoire


algerie /

Mémoires de la guerre et guerres de la mémoire
L’heure de la vérité

Interview de Stora et Harbi au nouvel obs apres la parution de leur ouvrage commun sur la guerre d'Algerie


Après un demi-siècle d’amnésie et d’arrangements avec l’histoire, le temps est proche où, de part et d’autre de la Méditerranée, on osera enfin regarder toutes les vérités en face


Le Nouvel Observateur. – Vous avez l’un et l’autre analysé dans vos ouvrages comment subtilement mensonges, refoulements et «trous de mémoire», de part et d’autre de la Méditerranée, se sont longtemps combinés pour
occulter ou déformer l’histoire de la guerre d’Algérie. En est-on encore là aujourd’hui?
Benjamin Stora. – Pour ce qui concerne la France, mon sentiment est que la société française n’a pas – n’a toujours pas – mémorisé l’histoire coloniale. Je dis bien «histoire coloniale» et pas simplement guerre d’Algérie. A
l’exception des groupes directement impliqués – pieds-noirs, soldats du contingent, immigrés algériens, harkis, militants de l’indépendance algérienne ou de l’Algérie française, soit environ 5 millions de personnes –, la société
française ne s’est pas sentie véritablement concernée par cette histoire qui apparaissait comme extérieure, périphérique, par rapport à l’histoire générale de la France. Au fond, elle n’a commencé à s’intéresser vraiment à
l’Algérie qu’à partir du moment où le contingent y est allé, en 1956. Si, aux référendums de 1961 et 1962, elle a voté massivement oui à l’indépendance de l’Algérie, c’était moins par anti-colonialisme que pour se débarrasser
du Sud – c’est-à-dire de «l’homme du Sud». Au-jourd’hui encore, lorsque la société française se pose la question des immigrés algériens en France, elle fait comme s’ils avaient de tout temps été étrangers à l’histoire nationale.
Alors que l’histoire des Algériens appartient à l’histoire coloniale, qui est partie intégrante de l’histoire de la France. C’est cela, à mon sens, qui favorise l’oubli.
N. O. – Oubli ou déni? La guerre d’indépendance algérienne obligeait à des révisions déchirantes. Aux mythes glorieux de l’épopée coloniale – la France bienfaitrice, la «mission civilisatrice» – succédait une autre vision de la
colonisation: la France qui «fait suer le burnous», la répression, la torture. N’est-ce pas tout cela que la France des années 1960 et 1970 a voulu refouler?
Mohammed Harbi. – Avec la décolonisation, la mémoire officielle française a été confrontée à un problème de réinterprétation du passé colonial. Cette tâche nécessaire, elle ne l’a pas accomplie, parce qu’elle voulait surtout
cicatriser les plaies de la guerre d’Algérie. Elle a préféré le silence. D’autant que dans cette affaire l’armée française, élément central de l’identité nationale, s’était déchirée. Cette réalité, ni la gauche ni la droite n’étaient prêtes à
l’affronter. Seuls des groupes restreints – l’extrême-droite, les Français d’Algérie, les officiers qui s’étaient insurgés contre de Gaulle... – ont continué à faire de la guerre d’Algérie un objet de débat permanent. Le réexamen de
l’histoire n’a véritablement commencé que dans les années 1980, lorsque la mémoire de la guerre d’Algérie a croisé celle de Vichy. Je pense notamment à l’affaire Papon. A partir de là, il y a eu une explosion d’articles de
presse, d’ouvrages, de travaux universitaires. On a vu ressortir tous les dossiers noirs du passé colonial avec la multiplication des témoignages et des mémoires. Ce débat a d’ailleurs gagné l’Algérie, où l’on a commencé à
débattre du problème de la violence, des fins et des moyens et à remettre en question le FLN lui-même. Les drames des années 1990 invitaient à un inventaire critique de l’historiographie officielle qui n’avait jamais été fait
jusque-là.
B. Stora. – Un autre élément a été fondamental: les enfants de l’immigration algérienne en France sont venus contester la vision traditionnelle d’une histoire coloniale nostalgique et embellie. Un nouveau groupe porteur de
mémoire faisait irruption sur la scène publique et interpellait la France au nom des principes de la République: «Où étaient-elles, dans l’Algérie de nos pères et de nos grands-pères, les idées d’universalité, d’égalité des citoyens?» Ce sont les combats citoyens du présent qui ont bousculé la mémoire coloniale et amené l’ensemble de la société française à se sentir concerné par cette histoire – je dirai «enfin!».
N. O. – Quel bilan tire-t-elle aujourd’hui de l’affaire algérienne? La France se perçoit-elle comme victime ou coupable?
B. Stora. – Coupable sûrement pas. Je n’ai jamais cru à ces histoires de «sanglot de l’homme blanc». La société française n’a manifesté ni regret ni remords par rapport à l’Algérie et, plus généralement, par rapport à son histoire coloniale. Il n’y a jamais eu de repentance. Jamais! Selon un sondage réalisé en novembre 2003, donc après l’affaire Aussaresses et les révélations du «Monde» sur la torture, 55% des Français estimaient que la France n’avait
pas à demander pardon à l’Algérie pour cent trente années de colonisation.
Une particularité de la guerre d’Algérie, c’est que tous les groupes porteurs de mémoire, en France, se sont posés en victimes. Tous estiment qu’ils ont été abandonnés ou trahis. Les pieds-noirs par de Gaulle; les harkis par leurs
officiers; les soldats par ceux qui les avaient entraînés dans cette guerre. Quant aux officiers, ils obéissaient au pouvoir politique. Il y a une espèce de concurrence victimaire qui fait que personne n’est jamais coupable de quoi que ce soit! Mais il faut bien, à un moment donné, quitter la position de la victime pour assumer ses responsabilités. De la fin 1956 à avril 1961, qui exerçait le pouvoir politique en Algérie? C’est l’armée – ou certains cercles de
l’armée. Et elle s’était installée aux commandes par la démission des pouvoirs en place, c’est-à-dire de la gauche, et notamment de la SFIO. Cela, on s’est arrangé pour l’évacuer. La gauche a reconstruit son récit de la guerre
d’Algérie autour de l’antifascisme, c’est-à-dire de sa lutte contre l’OAS. Mais elle n’était pas majoritairement anticolonialiste. Il faut se référer aux textes de l’époque. Les partisans de l’indépendance à la SFIO ou au PCF se
sont retrouvés en dissidence, en rupture.
N. O. – L’examen de conscience a vraiment commencé dans les années 1980, avec l’arrivée aux responsabilités d’une génération politique de gauche née du combat anticolonialiste…
M. Harbi. – C’est une génération qui n’avait pas les mêmes réticences à aller au fond des choses. Mais qui n’avait pas les forces suffisantes pour désigner les coupables. Elle les connaissait; mais pour prendre place elle devait
louvoyer.
N. O. – En Algérie, la situation est très différente. Benjamin Stora a écrit que ce n’est pas l’oubli mais au contraire la «frénésie commémoratrice» qui sert à occulter le passé. Est-ce encore vrai? Ce 50e anniversaire du 1er
novembre 1954 sera-t-il l’occasion de réactiver les mythes fondateurs de la jeune nation algérienne ou au contraire de faire véritablement de l’histoire?
M. Harbi. – La mémoire de la guerre d’Algérie a fondamentalement été une mémoire officielle, dont la fonction était à la fois de parachever la décolonisation et d’asseoir un nouveau système d’intérêts et de pouvoir. Jusqu’à
récemment, si vous vouliez connaître quelque chose sur la torture, sur les camps de regroupement, sur le fonctionnement de la justice pendant cette guerre, ce n’est pas dans les ouvrages algériens que vous le trouviez, mais dans
les ouvrages publiés en France. Je crois qu’on approche du moment où les Algériens vont faire de l’histoire.
N. O. – A quoi tient la faiblesse de l’historiographie algérienne? A la confiscation de l’histoire par le régime, à la pauvreté de l’université, au manque de sources écrites?
M. Harbi. – Ne croyez pas cela. Il y a énormément d’archives en Algérie – celles du GPRA et du FLN sont très riches –, mais jusqu’à présent elles n’ont pas été sérieusement exploitées. Cela ne fait que quelques années qu’on
a permis à des chercheurs – choisis par les autorités – de les consulter.
B. Stora. – La faiblesse du débat tient aussi à l’exil. Beaucoup d’intellectuels sont partis. Il y a une terrible érosion des élites. Voyez le nombre d’universitaires algériens qui vivent en France.
N. O. – La figure centrale de cette «mémoire officielle», c’est le martyr anonyme…
M. Harbi. – Les martyrs. On s’appesantissait d’autant plus sur cette dimension martyrologique que l’histoire de la lutte d’indépendance était une histoire anonyme, parce que les principaux acteurs en avaient été évincés. D’abord
la génération des pionniers, autour de Messali Hadj, évacuée au moment de la guerre civile algérienne entre FLN et MNA. Puis la génération des fondateurs du FLN, qui a été évacuée en deux étapes: en 1962, au moment de la
crise du FLN, toute une partie de l’establishment politique qui avait négocié les accords d’Evian est écartée par l’armée, qui s’appuie sur Ben Bella; lequel est à son tour évincé en 1965. Pour occulter cette genèse conflictuelle
du pouvoir FLN et entretenir le mythe d’une nation unie dans le combat, le seul point de ralliement, c’était le martyre.
B. Stora. – A ces générations successives de militants, il faudrait ajouter ceux, «nationa-listes» au sens large, qui n’appartenaient pas au courant indépendantiste pur. Je pense en particulier à l’UDMA (Union démocratique du
Manifeste algérien) de Ferhat Abbas, composée en grande partie de notables, souvent francophones, ayant entamé leur carrière par le processus d’assimilation et qui ensuite, par déception, se sont tournés vers le nationalisme
politique...
N. O. – Des gens dont le souvenir dérange parce qu’ils suggèrent qu’une autre voie était possible...
B. Stora. – …Qu’il y avait d’autres histoires. Je pense à une autre mouvance, d’ailleurs proche de la précédente: celle des oulémas, qui combattaient pour la réappropriation de la langue arabe et de la pratique religieuse. Et aussi
au Parti communiste algérien, qui n’était pas, lui non plus, pour une séparation radicale avec la France. Ces trois courants ont été balayés ou se sont ralliés au FLN. La logique de la guerre, sa brutalité, plus bien sûr la stratégie
exclusiviste développée par le FLN font que leur histoire reste à écrire.
N. O. – Après toutes ces purges de la mémoire, qui célèbre-t-on aujourd’hui? Quelles sont les figures de la révolution que l’on donne à admirer?
M. Harbi. – Les précurseurs: Abd el-Kader, qui dirigea la résistance à la conquête, et Ben Badis, créateur de l’Association des Oulémas, qui anima le mouvement unanimiste des années 1930…
B. Stora. – Ensuite, pendant et après la révolution, les figures célébrées furent celles des cadres tués au combat: Mourad Didouche, premier dirigeant tué par les Français (en janvier 1955), Mostefa Ben Boulaïd, Larbi Ben
M’hidi... Mais, fait nouveau, on voit réapparaître aujourd’hui des noms qui avaient été effacés des tablettes. Je pense à des dirigeants éliminés physiquement après l’indépendance, comme Krim Belkacem, assassiné en 1970 à
Francfort par la sécurité algérienne, ou Mohammed Khider, autre fondateur du FLN, assassiné à Madrid en 1967. Et à d’autres, encore vivants, qui retrouvent une place dans les manuels scolaires, comme Ben Bella ou Aït
Ahmed. On a même vu resurgir la figure de Messali. L’aéroport de Tlemcen porte son nom.
N. O. – Comment l’expliquez-vous?
M. Harbi. – Dès lors que les autorités ont décidé de reconnaître le pluralisme politique, même s’il a un caractère très artificiel, les mémoires refoulées sont remontées à la surface.
B. Stora. – La guerre civile algérienne a amené la société à s’interroger sur la généalogie de la violence. On s’est alors retourné vers des figures comme Messali ou Ferhat Abbas pour essayer de comprendre ce qui avait mal
tourné.
N. O. – Comme si la violence des années 1990 était la réplique sismique de la violence extrême de la guerre d’indépendance, et une conséquence de la confiscation de la révolution par le FLN?
M. Harbi. – On ne peut pas ne pas s’interroger sur le rapport entre les méthodes employées pendant la guerre de libération et celles qu’utilisent aujourd’hui les islamistes ou l’armée. Les gens sont conscients que la gestation du
pouvoir algérien et de ses pratiques s’est faite au cours de la révolution même. Et que, pour n’avoir pas suffisamment réfléchi sur ce qui est arrivé à l’époque, les mêmes faits ont fini par se reproduire. Mais méfions-nous d’une
vision déterministe qui consisterait à dire: ce qui se passe aujourd’hui, c’est ce qui est arrivé hier. Ce serait évacuer totalement le rôle et la responsabilité des acteurs. La suite n’était pas écrite. Je ne vois malheureusement pas, en
Algérie, de travaux sur ce problème de la violence. J’ai écrit des articles sur le sujet. Ils sont parus. Mais on n’en a pas parlé. On ne censure pas, mais on ne débat pas…
B. Stora. – Une guerre pousse l’autre, une mémoire pousse l’autre. Des souvenirs enfouis resurgissent. Le cas de Ramdane Abbane est exemplaire. Ce fondateur et théoricien du FLN avait été présenté comme mort au champ
d’honneur en mai 1958, alors qu’il a été assassiné par ses compagnons en décembre 1957. Un certain nombre de militants kabyles en ont fait une figure emblématique du retour de l’histoire réelle contre une histoire falsifiée. On
a là l’exemple d’une sorte de contre-mémoire souterraine, opprimée, qui refait surface et que certains courants politiques tentent d’instrumentaliser à leur tour.
M. Harbi. – Et une contre-mémoire un peu frelatée. Car Abbane a été tué à cause de la rivalité pour le leadership du FLN entre lui et Krim Belkacem. C’étaient deux leaders kabyles qui s’affrontaient.
N. O. – Reste-t-il, vu d’Alger, de grands tabous liés à l’histoire algérienne?
B. Stora. – Bien sûr. L’appartenance de la communauté juive à l’histoire algérienne, par exemple, reste un point aveugle. Les jeunes Algériens ignorent toujours que des juifs habitaient en Algérie depuis des siècles, qu’ils étaient
là avant même l’invasion arabe.
M. Harbi. – Il en va de même pour la communauté européenne. Les enfants algériens croient qu’en Algérie il n’y avait que des musulmans, que les « Européens » n’y sont venus que pour faire la guerre.
B. Stora. – Taboue encore la question harkie. Du côté français, on n’a voulu retenir que les massacres après l’indépendance. Et cette version française n’est rendue possible que parce que, du côté algérien, il n’y a pas de
travaux sérieux sur le sujet. Les historiens n’osent pas encore aborder la question de front.
M. Harbi. – C’est le problème de l’unanimisme idéologique. Etudier la question des supplétifs algériens de l’armée française, c’est se pencher sur les fractures au sein de la société algérienne.
B. Stora. – Cela obligerait à s’interroger sur le nombre des harkis – qui a été considérable – et sur leur origine sociale... Quand tout le discours officiel a été bâti sur une notion d’«authenticité», de valeurs paysannes opposées à
la dépravation citadine, comment expliquer que la plupart de ces gens étaient des paysans ne parlant même pas le français? Car les harkis étaient beaucoup moins «francisés» que les immigrés algériens en France, qui, eux, furent
des nationalistes fervents. C’est le paradoxe de l’histoire algérienne.
Enfin, il reste très difficile de débattre en Algérie de ce qu’on pourrait appeler le «monde du contact» entre la société «indigène» et la société coloniale européenne. Ces personnages, comme Camus, qui étaient à la lisière et que
l’histoire algérienne n’arrive pas à se réapproprier. Question très sensible, car elle touche à la fabrication de l’identité nationale algérienne.
M. Harbi. – Au lieu d’accepter l’idée que le mouvement national s’est constitué progressivement, et qu’il s’est radicalisé face aux blocages qu’il rencontrait, on a érigé une définition de l’identité fondée sur le retour à la période
antécoloniale.
N. O. – Benjamin Stora disait tout à l’heure que, vue de France, la «question algérienne» était au fond périphérique. Vue d’Algérie, au contraire, la «question française» reste centrale.
M. Harbi. – La nation algérienne s’est créée au cœur de l’empire français – et contre la France. Il y a donc une centralité du phénomène français dans la conscience algérienne. Lorsqu’on réfléchit sur les difficultés que vit
l’Algérie, on a encore du mal à admettre qu’elles ont souvent des causes internes, et qui n’ont rien à voir avec la France. Ce qui a permis au pouvoir algérien d’éluder ses responsabilités.
N. O. – Les dérives de l’Algérie indépendante, culminant avec la guerre civile des années 1990, ont également amené certains intellectuels de gauche français qui s’étaient engagés en faveur du FLN à s’interroger: ne s’étaient-ils
pas trompés de révolution, n’avaient-ils pas idéalisé la cause algérienne?
B. Stora. – J’introduirais deux correctifs. D’abord, les partisans de l’indépendance de l’Algérie n’étaient qu’une petite minorité dans l’intelligentsia française. Il ne faut pas réécrire l’histoire. La majorité des intellectuels étaient
pour l’Algérie française. En 1955, une pétition de soutien à Soustelle, gouverneur général de l’Algérie, a été signée par un millier d’universitaires. Le basculement ne s’est fait qu’après le discours sur l’autodétermination.
Ensuite, il n’y a pas eu, après 1962, d’endormissement ou d’aveuglement des intellectuels engagés dans ce combat. La plupart n’ont pas attendu la tragédie des années 1990 pour découvrir la vraie nature du pouvoir FLN.
Vidal-Naquet a condamné les massacres des harkis dès 1962. Et Daniel Guérin, en 1963, dénonçait les dérives bureaucratiques de l’Algérie socialiste. Sans parler de Castoriadis, Lyotard ou Lefort qui, dès 1956-1957, ne se
faisaient aucune d’illusion.
N. O. – Vous avez codirigé un ouvrage collectif intitulé «la Guerre d’Algérie, 1954-2004. La fin de l’amnésie» (Robert Laffont). Le temps est-il venu d’écrire une histoire franco-algérienne commune, une histoire à deux voix qui
serait audible des deux côtés?
M. Harbi. – C’est une idée que j’ai avancée, mais je pense qu’elle n’est pas encore mûre. Il faudrait que les forces intellectuelles soient quasiment au même niveau.
B. Stora. – On ne peut pas brûler les étapes. Il faut construire pas à pas un travail intellectuel commun, par des échanges, des colloques, des publications. Ce qui est en train de se faire. Mais l’Algérie est une nation jeune, dont le
nationalisme est encore très vivace. Elle a besoin de continuer à s’interroger sur ses mythes fondateurs.
N. O. – En France même, on l’a vu avec les protestations contre la venue de Bouteflika pour la commémoration du débarquement en Provence, il y a des gens, à droite, qui n’ont pas tourné la page…
B. Stora. – La droite, comme la gauche, a un problème énorme avec la mémoire de l’Algérie. Elle a dû reconstruire son récit des événements. Au départ, elle était pour la guerre en Algérie parce qu’elle était fondamentalement
attachée au maintien de l’empire. Puis elle s’est déchirée dans une véritable guerre franco-française. A tel point que certains courants de l’extrême-droite française, voire de la droite, pendant très longtemps – je dirais même
jusqu’à aujourd’hui –, n’ont pas admis l’existence d’un Etat algérien indépendant. Dans leur tête, la guerre continue à travers la question de l’immigration et la présence des Arabes en France. C’est une des clés du vote Front
national. Dans les mémoires qui font retour, il n’y a pas que des bonnes choses: certaines mémoires sont dangereuses.
M. Harbi. – Il faut se méfier du culte de la mémoire. Lorsqu’il est tourné exclusivement vers le passé, il débouche sur la rumination et l’exacerbation de la détresse.

Benjamin Stora , originaire de Constantine, est professeur d’histoire du Maghreb à l’Inalco (Langues O). Fondateur de l’Institut Maghreb-Europe (Paris-VIII), il est l’auteur d’ouvrages sur l’histoire du Maghreb et de l’Algérie,
dont «la Gangrène et l’oubli (Poche-La Découverte, 1998), «Messali Hadj» (Poche-Hachette, 2004) et «Algérie 1954» (l’Aube, 2004).

Mohammed Harbi a exercé d’importantes responsabilités au sein du FLN durant la guerre d’indépendance. Emprisonné en 1965, il s’évade en 1973 et rejoint la France. Professeur à Paris-VIII, il est un des grands spécialistes
de l’histoire de l’Algérie contemporaine. Auteur entre autres du « FLN, mirages et réalité» (Jeune Afrique, 1980) et «Une vie debout» (La Découverte, 2001).
Re: lettre d'un professeur agrégé à Bouteflika
12 avril 2008, 03:30
Bonjour.

Je me demande toujours pourquoi ces appels ainsi que la proclamation du premier novembre faite par le FLN, qui par une certaine logique n’auront pas dû avoir lieu, sont restés lettre morte au sein de la communauté juive?

Pourtant nous savons tous, que bon nombre de juifs algériens bien avertis ont pris part dés le début et ont activé dans le cadre du processus de décolonisation.

Lamak.
Re: lettre d'un professeur agrégé à Bouteflika
12 avril 2008, 04:53
cher ami abraham


je viens de me rendre compte a l'instant que je vous avais tutoyé à l'occasion d'un precedent envoi.
je ne l'ai pas fait expres je m'en excuse.
vous savez qu'en arabe comme en hebreu, je crois, le vouvoiement n'existe pas.
J'ai du penser en arabe avant d'ecrire mais j'incline surtout a croire que ca s'est fait naturellement car je suis tres a l'aise avec vous et que j'aime beaucoup votre bonne foi.

bien respectueusement

mohamed
Re: lettre d'un professeur agrégé à Bouteflika
12 avril 2008, 05:05
salut Lamak

je crois que la réponse à votre question est contenue dans le texte de l'historien algerien de confession juive, Benjamin Stora, qui fait à mon sens un travail remarquable dans le sens de la comprehension et du rapprochement entre les deux rives de la mediterranee, en dehors de toute manipulation d'ou qu'elle vienne.

Bien cordialement
Re: lettre d'un professeur agrégé à Bouteflika
12 avril 2008, 07:36
Benjamin Stora.
Historien et professeur
d'histoire, spécialiste
de l'Algérie

Une absence de
mémoire juive voulue et
assumée

Une dizaine de livres seulement abordent l'histoire des juifs d'Algérie. Un éclairage est
esquissé par l'historien Benjamin Stora qui prépare depuis plusieurs mois un ouvrage sur cette histoire complexe.
Professeur d'histoire des universités (Inalco et IEP), Stora, fait partie des enseignants signataires de la pétition sur l'abrogation de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 portant « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés », en ce sens qu'il « impose
l'enseignement d'une histoire coloniale officielle ».

Quelles sont les raisons du silence mémoriel des juifs d'Algérie ?

L'absence d'une mémoire juive dans la littérature de l'Algérie coloniale est à la fois voulue et
assumée parce que, après l'indépendance, les juifs d'Algérie se sont fondus dans la masse des pieds-noirs. Ils ne voulaient pas se distinguer des pieds-noirs. Ils vivaient comme Français,
complètement. Ils ont été indemnisés par l'Etat français comme tous les rapatriés. Ce dossier est clos.
Pendant 30 ans, les mouvements de rapatriés ont mené campagne pour l'indemnisation. Et dans cette campagne, les juifs ne se singularisaient pas.

Qu'est-ce qui fait la complexité de l'histoire des juifs d'Algérie ?

Les juifs d'Algérie sont à la fois Français, très républicains et en même temps extrêmement attachés à leur identité originelle, à leur quartier, leur village. C'est une mosaïque de petites communautés. Il y avait une grande hétérogénéité sociale, culturelle. Qu'est-ce qu'il y a de commun entre un juif d'Alger, républicain, assimilé, quelquefois franc-maçon, membre de la Ligue des droits de l'homme, et un juif de Constantine ou de Bordj Bou Arréridj attaché à sa synagogue, parlant l'arabe ?

Dans des villes comme Aïn Beïda, Khenchela, ils avaient le même univers culturel que les musulmans.
Les juifs des montagnes ne sont pas ceux des villes. Les juifs du M'zab, par exemple, n'ont jamais
été français, ils ont été faits français par un décret de 1964 et rapatriés par avion par les autorités
françaises. L'assimilation française avait fait son oeuvre. Le décret Crémieux instauré par le colonisateur français a séparé les indigènes entre eux. Certains juifs d'Alger ont accueilli avec
satisfaction le décret Crémieux, même avant, ils étaient partisans de la France. Par contre, les juifs
de Constantine ont manifesté une extrême réserve, pour ne pas dire hostilité. Les rabbins de Constantine étaient contre le décret Crémieux parce qu'ils considéraient qu'ils allaient détruire leurs
traditions, leurs coutumes. Des rabbins ont laissé des textes (non publiés) dans lesquels ils expliquaient qu'ils ont failli disparaître comme communauté en Algérie à cause de l'acculturation
mise en oeuvre par la France. Le décret Crémieux a été suivi d'une campagne antisémite très
virulente, qui n'avait jamais cessé, parmi les Européens d'Algérie pour l'abrogation de ce décret.
C'est pour cela que c'est paradoxal que les juifs d'Algérie se soient fondus dans la masse des pieds-noirs alors que ceux-ci étaient très antisémites.

Sous Vichy, les juifs n'ont-ils pas été soutenus, voire protégés par les nationalistes algériens ?

Quand les vichystes ont proposé à l'élite nationaliste algérienne, notamment à Ferhat Abbas, Messali Hadj qui était en prison avait également refusé, de faire des campagnes antijuives, ils ont refusé. Les Ouléma ont aussi refusé. Ce sont des faits qui, malheureusement dans l'histoire algérienne, ne sont pas revendiqués, alors que les Marocains sont fiers de dire que le sultan a refusé de livrer les juifs à Vichy. Ce fait est enseigné dans leur histoire nationale. Quand les biens juifs en Algérie ont été confisqués, les vichystes ont proposé à des Algériens musulmans de les prendre, ces derniers ont
refusé ; sinon comment les juifs auraient-ils pu récupérer leurs biens ?
Sur Vichy, musulmans et juifs s'étaient retrouvés au coude à coude. C'est pour cela qu'il y a peu de juifs - il y en a eu, mais pas en
nombre - dans l'OAS. Les juifs algériens ne pouvaient pas être avec l'OAS en masse parce qu'il y avait eu Vichy. Ils n'étaient pas pour l'OAS, dont la conception était raciale, ethnique,
communautariste. Ils étaient pour la France, mais pour l'égalité des droits.
Dans une option républicaine de l'Algérie française, ils étaient pour l'élargissement du décret Crémieux aux musulmans que la France a toujours refusé. La masse d'entre eux n'était donc pas dans le camp du
nationalisme algérien, c'est vrai, mais une minorité d'entre eux a rejoint le camp de l'indépendance.

N'y a-t-il pas aujourd'hui l'émergence d'une mémoire juive algérienne ?

Il a fallu attendre pratiquement 40 ans pour que la décantation s'opère, par l'intermédiaire des nouvelles générations. Il y a eu chez les enfants de ces « pieds-noirs très spéciaux » un désir de
comprendre pourquoi leurs parents parlaient l'arabe, écoutaient de la musique algérienne... Il y avait aussi la proximité et la connivence avec les enfants de l'immigration algérienne en France dont ils se
sentaient plus proches que des enfants d'Européens d'Algérie.
Dans certaines familles juives, des enfants nés en France ont été élevés dans la culture algérienne et la langue des parents, alors que
l'Algérie, ils ne la connaissent pas. C'est une tradition constantinoise, par exemple. En quittant l'Algérie, les juifs, 130 000, se sont installés en France, contrairement aux juifs de Tunisie ou du Maroc qui, eux, sont partis massivement en Israël. Aujourd'hui, cette communauté issue d'Algérie représente environ plus de 400 000 personnes. C'est la composante la plus importante en nombre
de la communauté juive vivant aujourd'hui en France.
On retrouve à travers les parcours très
singuliers de figures intellectuelles connues toute la complexité du judaïsme algérien. Les intellectuels juifs de France venus d'Algérie ne sont pas identifiés en tant qu'intellectuels d'Algérie. Ils
en parlent à la fin de leur vie ou maintenant. C'est le cas de Jacques Attali, par exemple. Qui savait que Jacques Derrida, un des philosophes les plus connus du monde, était d'Alger ? Les derniers
textes de Derrida sont très intéressants parce qu'il explique la perte de la langue arabe dans sa famille et pour lui-même, qu'il a vécue comme un trouble identitaire très grave et dont il ne s'est
aperçu que très tard.

Comment peut-on interpréter ce retour de juifs en Algérie ? Pour la première fois, un groupe de 137 juifs se rend à Tlemcen...

Le fait de retourner pour la première fois est un acte très fort. Des individus sont déjà repartis en visite en Algérie, mais en collectif, c'est la première fois. Qu'ils aillent en Algérie, avant de mourir, se
recueillir sur la tombe de leurs proches, quoi de plus normal, mais de là à dire qu'ils vont retourner vivre en Algérie, je n'y crois pas. Un demi-siècle a passé, c'est fini. C'est une page qui se tourne,
mais elle ne peut pas se tourner sans qu'il y ait au moins une forme de pèlerinage.
Re: lettre d'un professeur agrégé à Bouteflika
23 avril 2008, 02:39
Quote
Leyla
Quote
Abderezak
Quote
Leyl Aujourd hui, deux bombes ont explosé à Alger, à qui est la faute ?[/quote

Des centaines de bombes peuvent eclater en Algerie chaque jour, il y aura certainement beaucoup de personnes qui s'empresseront de quitter ce pays mais la majorité s'y accrochera jusqu'à la fin. Tu sais pourquoi Leyla? Tout simplement parce que contrairement à d'autres, on fait partie de ces populations qui ne quittent pas leur pays dés que l'herbe est plus verte qu'ailleurs.


Ceux qui restent, ne restent pas par principe, mais uniquement par impuissance, c'est l'impossibilité de partir si ce n'est la difficulté qui retient la majorité, si non pourquoi tous ces gens prennent le large sur des barques pas dut tout sécurisées pour passer
de l'autre côté?

Mais je crois quand même que nous nous éloignons du sujet de ce topic.
Aucune difficulté ne nous retient ,il fait bon vivre a bejaia du moins
En algerie il reste tant a faire,il est mille fois plus facile de gagner sa vie ici qu'ailleurs,il suffit juste d'une petite idée ...
Je pars souvent en voyage ,tout ce qui se vend ailleurs existe en algérien .
Le problème des algériens qui risquent leur vie pour partir,est ailleurs.Ils sont généralement sans diplômes ,n'acceptent pas toutes les besognes ,acculturés par ce qu'ils voient a la télé .Naïvement ils pensent qu'il suffit de fouler le sol d'une ville européenne pour trouver l'eldorado ,une belle femme,une voiture h de gamme et pourquoi pas un pavillon grand standing ,évidemment il n'est pas interdit de rêver ,mais tout le monde convient avec moi que la réalité est toute autre ,d'abord les lois anti-emigration sont plus sévères et d'autre part les crises notamment économiques qui ébranlent le monde occidental apportent quotidiennement leur flots de drames ,rien qu'a voir le pouvoir d'achat en france qui se dégrade chaque jour d'avantage pour tirer toutes les conclusions.
L'émigration algérienne trouve ses sources ailleurs :mode de vie,société etouffée par l'empreinte de la religion,manque de distractions et de loisirs etc... la liste est encore longue ,mais une chose est certaine elle n'est pas économique.
Quant

Meme les diplomés partent pour les memes raisons ,au cannada surtout...
Re: lettre d'un professeur agrégé à Bouteflika
26 juillet 2008, 09:48
"Réponse de la part de mr abdelkader dehbi"
Envoyé par faizadz le 14 janvier

C'est au hasard de mes errances de bédouin, que je viens de tomber sur votre "Lettre ouverte à M. Bouteflika, président de la République Algérienne", publiée sur le site du Journal Chrétien, daté du 10 décembre 2007.


Etant peu soucieux de savoir si l'on vous a ou non répondu officiellement à votre lettre ouverte en même temps que peu curieux des pérégrinations médicales des uns ou des autres, c'est à titre de citoyen algérien outragé, que je voudrais réfuter ici, un certain nombre de contre vérités que vous n'avez pas craint d'avancer, au mépris des règles ordinaires de l'honnêteté intellectuelle dont font preuve en général, les hommes de l'art comme vous l'êtes. Quel dommage donc, M. le professeur ! Et permettez-moi ici, de passer en revue quelques unes de vos assertions qui relèvent tout bonnement de l'imposture.

- Quand vous prétendez citer le Texte sacré de l'Islam, en attribuant le passage suivant au Coran : "Combattez vos ennemis dans la guerre entreprise pour la religion Tuez vos ennemis partout où vous les trouverez." (Coran, Sourate II, 186-7), vous commettez là, une falsification caractérisée du texte sacré, puisque le Verset en question se traduit comme suit :

"Combattez au nom de Dieu, ceux qui vous combattent et n'agressez point, Dieu n'aime pas les agresseurs Tuez-les (les agresseurs) et chassez-les, d'où ils vous ont chassés. La fitna (le désordre) est pire que la guerre".

Seraient-ce là les syndromes d'une trop longue fréquentation pédagogique de la psychopathie que vous enseignez depuis si longtemps M. le professeur ? Je le crains pour vous

- Quand vous prétendez qu' "en 1830, les Français sont venus à Alger détruire les repaires barbaresques ottomans qui pillaient la Méditerranée, libérer les esclaves et, finalement affranchir du joug turc les tribus arabes et berbères opprimées" Cela tient du donquichottisme béat, pour qui se souvient de la fameuse harangue du Roi Très Chrétien à ses députés en cette journée du 2 Mars 1830 : " Mais je ne puis laisser plus longtemps impunie l'insulte faite à mon pavillon ; la réparation éclatante que je veux obtenir, en satisfaisant l'honneur de la France, tournera, avec l'aide du Tout-Puissant, au profit de la chrétienté. "

Et dire que c'est le même genre de discours de marchands trompeurs et pilleurs, que l'on continue de servir encore aux bons peuples, comme le font aujourd'hui, les Bush et leurs supplétifs de France et de Navarre, pour ... la guerre pétrolière contre l'Irak, l'Afghanistan et probablement demain contre l'Iran, tantôt au non de la lutte contre le terrorisme, tantôt au nom de la démocratisation

C'est assez souligner, pour revenir à l'Algérie, et bien avant que le récent ouvrage de Pierre Péan ne vienne opportunément le rappeler que beaucoup d'historiens savaient de quel coté se trouvaient les pillards, c'est-à-dire les hordes de marchands-mercenaires ayant noms de Bourmont, de Sellières et autres Schneider, arrivés dans les bagages de la soldatesque de cet infortuné Charles X, à qui l'invasion et le pillage de l'Algérie ne porta pas bonheur, puisqu'il fut forcé d'abdiquer quelques semaines plus tard pour s'exiler à Prague, puis en Autriche où il s'en fut mourir, de honte et surtout de choléra comme les "barbares" mouraient eux, de paludisme, n'est-ce pas docteur ?

- Vous persistez ensuite dans le dénigrement et l'imposture contre la société algérienne d'alors 1830 en écrivant : "Les talebs les plus évolués qui servaient de toubibs (hakems) suivaient les recettes du grand savant Bou Krat (Hyppocrate), vielles de plus de 2000 ans. La médecine avait quand même sérieusement évolué depuis !"

Dommage M. le professeur, que vous feignez d'ignorer que la société algérienne en 1830, faisait partie intégrante et le demeure encore -, de ce vaste ensemble civilisationnel qu'est le monde arabo musulman. Dommage aussi, que vous ayez cru devoir escamoter les apports décisifs de la médecine arabo musulmane à un Occident médiéval, longtemps pétri d'ignorance, de ruralité et d'obscurantisme. Quelle ingratitude, monsieur, à l'égard de vos premiers maîtres en la matière, comme Ibnu Sina, Ar-Razi ou Abulkassis pour ne citer que ces grands précurseurs dont les travaux ont constitué les premiers fondements de la médecine moderne. Dommage enfin, que vous feignez d'ignorer que c'est à Bagdad que fut édifié le premier et le plus grand hôpital de l'époque, plus de 7 siècles avant l'Occident.

Non, M. le professeur Savelli, votre feinte amnésie n'est que la conséquence d'une regrettable inclination de pied noir indécrottable et nostalgique de "l'Algérie de papa". Nostalgique au point d'en adopter à la fois, la même posture de supériorité et le même ton de condescendance et de refus de regarder l'Histoire. En en assumant toutes les facettes En particulier les moins brillantes, comme par exemple l'Histoire des crimes établis, perpétrés par la colonisation française et que vous cherchez à escamoter et à gommer, en convoquant d'autres génocides En faisant sciemment l'amalgame entre des génocides réels, comme ceux subis par les Amérindiens en Amérique et les aborigènes en Australie et les génocides supposés comme ceux qu'auraient subi les Arméniens ou les "romano berbères" comme vous dites

Pour le reste, je ne m'appesantirai que pour l'humour, sur votre effort méritoire pour comprendre la langue arabe "à votre rythme" et surtout pour l'interpréter à l'aune de vos propres phantasmes, quand vous écrivez par exemple et avec une touchante suffisance :

"Faut-il oublier que la France a respecté la langue arabe, l'imposant même au détriment du berbère, du tamashek et des autres dialectes et a respecté la religion (ce que n'avaient pas fait les Arabes, forçant les berbères chrétiens à s'islamiser pour ne pas être tués, d'où le nom de kabyle j'accepte)" Du vrai délire linguistique, M. le professeur ! Le terme kabyle étant tout simplement dérivé de la racine arabe de (tribu, tribus, membre de la tribu).

Je profite de l'anecdote pour signaler que ce genre d'erreur souvent dû à une faible maîtrise de la langue arabe - est très courant même chez les pseudo "orientalistes" réputés, comme Denise Masson, voire même Jacques Berque. Il suffit pour s'en apercevoir, de comparer les traductions plus ou moins sérieuses sournoises serait plus juste ! - du Coran, faites par ces derniers, avec la magistrale traduction donnée par le regretté Cheikh Muhammad Hamidullah, ce véritable apôtre moderne de l'Islam des Lumières.

Enfin, - et j'en finis par le "bouquet" de la lettre ouverte - quand M. Savelli débute son factum en prétendant que l'identité algérienne "n'a jamais existé avant 1830" en se fondant curieusement sur des propos ambigus du grand leader nationaliste algérien Ferhat Abbas, mais en faisant totalement l'impasse sur les incontournables "Histoire de l'Afrique du Nord" de Charles André Julien ou "l'Algérie, Nation et Société" de Mostéfa Lachraf qui réfutent brillamment l'un comme l'autre, les thèses coloniales niant l'existence de la Nation Algérienne.

Encore une ignorance feinte, M. le professeur ! N'est-ce pas là d'ailleurs la pire des ignorances ?

Abdelkader Dehbi
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