L’amoureux se dissout dans sa bien-aimée comme le lait dans
la zalubiyyah.
Rumi
Petite dentelles ruisselantes de miel, légères volutes
empilées en cascades fragiles, êtes vous des stucs échappés des palais
arabes, des fines moucharabiehs, qui fenêtres ouvertes filent vers la rue
grouillante et bruyante ? Zlabyas, spirales à la pâte légère, qui
rêvent de cieux et d’ailleurs, êtes-vous de petites comètes échouées ici
bas, encore revêtues de poussières d’étoiles ? Pâte enroulée, lovée sur
elle-même, beignets de guipures et de broderies, entrelacs sucrés et
croustillants qui bravement plongent dans un bain d’huile bouillante,
s’habillent d’or et de lumière pour nous éblouir, qui se gorgent de miel et
de sucre pour nous séduire.
Zlabyas
serpentines et câlines, dont la saveur s’agrippe à jamais en nous, se niche
en torsades dans notre mémoire olfactive et gustative et nous fait courir
pour la retrouver chez un ftaïri,
dans une échoppe enfumée semblable à l’antre de Vulcain. Et lui,
assis en tailleur devant un immense chaudron, trône tel un monarque. Tôt le
matin, il envoie l’assistant quérir des sarments de vignes, qui alimenteront
le feu. Impérial, le ftaïri se réserve la préparation de la pâte.
D’une seule pâte sortiront des beignets à la forme et à la saveur
différente. Le beignet du matin fait d’une pâte souple, il l’étire et
l’étale savamment, en fait un joli cercle qu’il lance dans la bassine
fumante en le laissant rêver entre ciel et huile quelques secondes dans un
gracieux mouvement giratoire, rêve suspendu…. Le gourmand, suit les
acrobaties, impatient. Aidé de son royal sceptre, une longue tige de fer,
le maître ftaïri le ramène à l’air libre. La pâte de texture
différente du centre au contour semble refléter tous les états d’âme du
beignet. Le cœur est croustillant, ferme, sûr de lui mais néanmoins
parsemé de petites bulles d’air, ultimes échappées rêveuses, quant au
pourtour spongieux, il ne l’est pas par hasard. Il écoute les clameurs de
la ville, il absorbe, capte les gestes du ftaïri, le regard gourmand
de l’acheteur ; sa vie est courte mais il saisit intensément l’instant qui
passe. Toujours le matin, dans la même pâte, mais plus réduits en taille
sont aussi confectionnés les beignets au miel, doux et timides.
Ftaïr
en Tunisie, feteer en Egypte, dans le reste du Maghreb, beignet se
dit sfeng. L’étymologie n’est pas sémitique mais latine, de
spungium, éponge. Les Romains seraient-ils les premiers méditerranéens à
savourer divers beignets ? La recette de boules à la semoule et au fromage
que nous a laissé Caton, évoque déjà ces beignets dont raffolait
al-Andaluz, les mujabbanat, dont les plus fameux étaient de Jerez et
son encytum est-il le lointain ancêtre des zlabyas ? En
Tunisie, il n’y a que dans la ville de Testour, fondée par les Andalous, où
le beignet au miel est toujours désigné par sfenj. Ici, se perpétue
une vieille tradition andalouse, de les offrir pour annoncer un mariage.
Préparés le matin à la maison de la promise, l’odeur de leur cuisson
répand l’heureuse nouvelle (ifuh al-ars) Les sfenj tous
chauds, imbibés de miel sont distribués à tous les invités et envoyés au
domicile de ceux qui ne peuvent être présent. Ils sont servis dans de grands
récipients en cuivre étamé, ayant la forme de coupe appelés m’etred.
Très appréciés dans l’Espagne musulmane où ils étaient connus comme
isfang, la recette est restée identique.
Les
zoroastriens de Yazd et Kerman, en Iran, sont les seuls Iraniens à encore
confectionner les siruk, ces beignets identiques à ceux que l’on
retrouve en Tunisie et qui étaient dégustés dans la Perse antique.
Méditerranéen, Perse le beignet ? Il est d’ici et d’ailleurs, parce que
partout l’homme a su trouver de l’huile, du miel et des céréales pour le
confectionner.
Le beignet de
l’après-midi, pâte voilée de sucre, prend en Tunisie, un nom italien,
bomboloni. . Un beignet tout simple qui à travers ses noms nous conte
son voyage et l’histoire du pays. Beignet qui réussit un syncrétisme
savoureux et festif depuis l’Antiquité.
En Syrie, petite sphère parfaite, le petit beignet
rond comme une balle de ping-pong, plongé tour à tour dans l’huile et le
sirop mielleux s’appelle awwameh (plongé, immergé) ou zlabya (la
zlabya torsadée y est aussi connue.) Les chrétiens de Syrie
n’oublient jamais d’en préparer le jour de l’Epiphanie. Dans les pays
du Golfe persique, ce même awwameh est prénommé loukaymat et
s’offre une graine aromatique, le hel pour se parfumer.
Puis,
en fin d’après-midi, lorsque les belles se préparent pour les soirées, robes
dix fois essayées, guirlande de jasmin pour bijou, lèvres brillantes, regard
souligné de khôl, vient le moment de fluidifier la pâte pour ce beignet de
dentelles qu’aucun apprenti n’a le droit de toucher. Si le ftaïri
accepte les vicissitudes de son métier, lever aux aurores, chaleur
étouffante dans l’antre exigüe, c’est parce qu’il est le seul à donner
forme et vie à la princesse zlabya. Ces mains de travailleur, qui
pétrissent, malaxent la pâte, se brûlent souvent aux éclaboussures d’huile,
sont aussi des mains de magicien, d’artiste, d’orfèvre. Le voilà le miracle,
doré, croustillant, véritable petit bijou finement ciselé, ouvragé que l’on
portera en bouche avec vénération et qui laissera dans le palais une douceur
paradisiaque.
Où ? Quand ? Comment ?
Des esprits chagrins ou jaloux colportent bien sûr des ragots, vous seriez
des bâtardes, nées de la maladresse d’un boulanger du Moyen-Orient dont la
pâte trop fluide ne pouvait donner du pain. De désespoir, il s’écria : « Zella
bia »
puis raisonnable, il tenta de sauver sa journée de travail en lançant dans
l’huile bouillante des petits morceaux de pâte. Le résultat fut au-delà de
ses espérances. Ravi, il décida que ces beignets méritaient bien un sirop
de sucre et de miel, le succès fut immédiat. Avec le temps, zella bia,
devint zlabya. Si boulanger il y eut, était-il Iranien ? Levantin ?
Romain ? Andalous ? Maghrébin ? Indien ? Tous se réclament vos pères, jolies
demoiselles, si légères, prêtes à partir en voyage pour séduire et encore
séduire. Des siècles après Caton, vous apparaissez sous votre forme
actuelle dans un traité baghdadi et si les Perses vous font naître belles
princesses chez les sassanides, nul texte pour le prouver. La recette est
claire et évoque déjà une forme en spirales, mais comme la cuisine, la
sémantique a ses mystères.
A partir du
« nombril du monde », coquettes séductrices vous prirent la route laissant
les hommes énamourés, les femmes un peu jalouses et les enfants désespérés.
A l’Ouest, Le Maghreb, al-Andaluz vous adoptent sans conditions, d’autant
que l’huile, les céréales et le miel y ont toujours fait bon ménage, et
votre forme n’est pas sans rappeler des gourmandises romaines. Ils font de
vous la sultane des pâtisseries, celle devant laquelle amoureusement tous
s’inclinent, mais n’ayant qu’une pensée, vous croquez. Ils prennent soin
de vous, vous plongeant dans l’huile d’olive pour assouplir votre peau et
dans le miel pour la rendre encore plus douce. Les ftaïris rivalisent
dans les arabesques de plus en plus sophistiquées, de plus en plus
gracieuses. Mais jolie demoiselle, la péninsule indienne vous tend aussi les
bras. Il vous est impossible de résister aux saris chatoyants, aux
bracelets qui tintent, ici vous devenez jalebi.
Les soirs de fêtes, femmes et
pâtisseries se parent de leurs plus beaux bijoux et vous êtes le joyau des
confiseurs. Dans le monde musulman et plus particulièrement au Maghreb, il
est impossible d’imaginer la rupture du jeûne de Ramadan sans les
rutilantes zlabyas. En Inde, à Diwali,
au cœur de l’automne, à l’aurore de l’hiver, lorsque la nuit étend tôt son
manteau, lorsque des milliers de petites lampes à huile s’allument, plus que
toute autre douceur vous symbolisez la lumière, vous êtes la maharani
des pâtisseries, illuminant pauvres échoppes et luxueuses demeures. Les
soirs de Diwali, le pauvre entre les pauvres tient de l’or dans sa main
lorsqu’il vous porte en bouche. En Egypte, le 29°jour du mois khiahk,
soit le 7 janvier du calendrier grégorien, les coptes célèbrent Noël. Au
moment de la dynastie fatimide, les califes avaient coutume d’offrir aux
dignitaires, ce jour-là des plateaux de zlabyas. La tradition s’est
perpétuée jusqu’à aujourd’hui même si la pâtisserie typiquement copte de la
Nativité reste le lebkuchen.
Il
vous restait à conquérir le Nouveau Monde, « impossible » s’exclamèrent les
autres pâtisseries déjà passablement jalouses de votre succès. Mais les
étoiles sont parfois filantes et comme les fées peuvent se transporter où
elles veulent surtout si destin décide de leur donner un petit coup de main.
Au début du siècle, un émigré syrien, Ernest Hamwi s’installe aux U.S.A. il
y confectionne et y vend des sortes de gaufres faites dans la pâte des
awwameh syriennes. Il les vend sous le nom de zlabyas. Son petit
commerce prospère et il participe à la grande Exposition de Saint Louis
dans le Missouri où son stand jouxte celui d’un marchand de glace, Arnold
Fomachou. Au milieu de l’après midi ce dernier est en panne de petits pots
et se retrouve avec un stock de crème glacée qu’il ne peut écouler.
Astucieux, Ernest Hamwi, roule se gaufres en cornets que le glacier emplit
de crème, le cône était né. L’affaire aurait pu s’arrêter là, mais notre
Levantin astucieux réalise le potentiel de son invention. Il se lance dans
la confection de crème glacée en cornets et pour lancer le produit, en
distribue plus de 5000 milles à la foire de Géorgie, la même année. Le
succès immédiat l’encourage à fonder la Missouri Cone Company. En 1928, il
écrit son histoire dans le Ice Cream Trade Journal, deux autres
émigrés syriens Nick Kabbaz et Abe Doumar, présents eux aussi à Saint Louis,
lui disputent l’invention, mais c’est lui qui entrera dans la légende. Aux
U.S.A. la zlabya devient un cône, ce cornet qui fait le tour du
monde et dont on ignore trop souvent l’histoire des origines. Sultane ou
princesse des douceurs dans le monde arabe, maharani ou actrice de
Bollywood dans les pâtisseries indiennes, business-woman aux U.S.A. Quelle
belle réussite que la vôtre.
C’était
l’histoire d’une pâte de pain qui ce matin-là, n’était pas au meilleur de
sa forme, mais le prince charmant, boulanger de son état, su de suite
déceler sa beauté. Derrière les guenilles, il devina la robe de bal, il
décida d’en faire une princesse et comme l’amour peut tout, il réussit.
De nos jours, la mode est à la
minceur, plus de formes opulentes, les femmes doivent être filiformes,
alors forcément elles vous boudent, vous qui leur offrez en une bouchée tant
de calories. Mais surtout, elles vous envient, gorgées de sucre et de miel
vous restez à jamais graciles, petites tanagras des douceurs.
Monique
Zetlaoui
Recettes
d’hier
Boules
au fromage et au miel
Mélanger à part
égale semoule et fromage, faites des boules de la grosseur que vous voudrez.
Dans un chaudron de cuivre chaud, mettre de la graisse, faites frire une à
une ou deux par deux et retournez fréquemment avec deux baguettes. Une fois
frites, retirez-les, enduisez-les de miel, saupoudrez de pavot et servez.
Caton (234-149 avant J.-C.)
Encytum
Faites l’encytum de la même façon
que les boules, sauf que l’on prenne un récipient creux à fond percé : ainsi
faites couler dans la graisse chaude ; faites le beau comme un spira,
et retournez et dressez avec de baguettes. Enduisez de même et laisser
colorer à chaleur modérée, servez avec du miel ou du vin miellé.
Caton
Zulabiyya
Pétris de la farine fine
avec de l’eau que tu ajoutes peu à peu pour obtenir une pâte fluide. La pâte
doit être plus légère que celle des musahhada. Laisse-là lever près
du feu. La pâte est levée, lorsqu’en tapant sur le côté du récipient, tu
entends un bruit sourd. Chauffe une grande quantité d’huile et lorsqu’elle
est bouillante, remplis un récipient percé avec ta pâte fluide en bouchant
le trou avec ton doigt et laisse couler en formant des cercles, des anneaux
selon, ton désir. Prends soin que l’huile reste toujours chaude et qu’il y
en ait suffisamment pour que la pâte ne colle pas. Une fois dorée, retire
la zullabiyya et plonge là dans du miel écumé et parfumé aux épices.
Si tu souhaite lui donner une coloration tu peu ajouter à la pâte du jus de
bois de Brésil, ou du safran, ou du jus de fenouil vert ou du jus de
raisin de renarde. Quand le miel est absorbé, retire et place là sur une
grille en bois pour égoutter.
Anonyme Andalous XIII siècle.
Mujabbana
Sache que
la mujabbana est préparée avec deux sortes de fromage, du fromage de
brebis, et du fromage de vache. Le principe est que les deux fromages se
mélangent. La quantité de fromage de brebis doit être plus importante et le
mélange homogène pour que le beignet ne se défasse pas à la friture. Si tu
as besoin d’assouplir la pâte ajoute du lait frais avant de faire
frire
Mujabbana
Prends de la pâte faite avec de
la semoule, des amandes pelées et concassées, du fromage frais et des œufs.
Pétris le tout ensemble,. Mouille avec du lait frais pour obtenir une
consistance homogène ni trop fluide ni trop épaisse et confectionne tes
mujabbanat.
Les pâtisseries orientales
offrent de délicieuses zlabyas, mais pour les inconditionnels du « fait à
la maison » et que les odeurs de friture n’effrayent pas, voici deux
recettes.
Awwameh
2 tasses
et demie de farine
2 tasses
et demie de yaourt
1 cà
café de levure boulangère
Huile de
friture et sirop de sucre et de miel
Mélanger la farine et la levure
et ajouter le yaourt. Mélanger jusqu’à obtenir une pâte ferme. Couvrir d’un
linge et laisser reposer à température ambiante jusqu’à ce qu’elle double de
volume. Confectionner de petites boules et les plonger dans l’huile
bouillante, les retirer dès qu’elles sont dorées, égoutter et plonger dans
le sirop chaud. ((Pour la recette du sirop voir makroukds.)
Zlabya
250 gr de farine
10 gr de levure boulanger
1 verre et demi d’eau tiède
1 pointe de curcuma, 1 pincée de
sel
Délayer
la levure dans un verre d’eau tiède, et la mélanger à la farine. Ajouter le
curcuma délayé dans un demi-verre d’eau tiède. Mélanger le tout, couvrir
d’un linge et laisser lever la pâte jusqu’à ce qu’elle double de volume.
Faire couler la pâte dans une poche à douille au dessus d’une bassine
d’huile chaude en faisant des spirales. Lorsque les zlabyas sont
dorées, les égoutter et les plonger immédiatement dans un sirop chaud.
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