La
juive au tchador
Par
Line Meller-Saïd
Editions Alan Sutton
Photographie de Frédéric
Brenner- Médaillon de Marie-Ema Hassoun
Extraits
"Salope ! Juive !" Sara baisse la tête. Tant et tant
de fois elle a entendu ces mots qui font mal ! En français
toujours, contrairement au mode courant des échanges familiaux où
domine l'arabe. Depuis le temps, elle devrait être immunisée. Mais
non, chaque fois, le sillon douloureux se creuse un peu plus.
Il hurle
: "Il faut toujours que tu inventes n'importe quoi. J'en ai marre
de tes mensonges. Tu es bien comme ta mère, la chienne de juive !"
Comme s'il prenait soudain conscience de l'énormité qui vient de
sortir de ses lèvres, il regarde avec inquiétude Sara, médusée,
figée.
"Allah
akbar...", Dieu est grand. Cette périphrase lui semblait très
belle, pleine de sens : Dieu ne pouvait être que le plus grand, le
plus fort, et dans sa tête naissaient des ferveurs, des élans,
sortes de prières sans paroles, indépendantes de toute liturgie,
lancées silencieusement vers un protecteur suprême.
"Le tueur
a ouvert la porte du magasin, comme ça, en pleine ville, et pan !
pan ! deux coups de revolver, il l'a abattu et il est ressorti
tranquillement".-"Ecoute. Il n'y a pas de fumée sans feu. ! Si les
terroristes s'en sont pris à lui, c'est certainement pas pour
rien. D'abord il était juif, alors, vous savez..."
"Si tu
veux te faire respecter dans la rue, tu dois couvrir ta tête. Il y
va de ton honneur et de l'honneur de ton père"
En cette fin du mois de décembre 1994, Mehdi et
d'autres enfants du quartier ont investi la cour… "On est les
terroristes. On crie parce qu'on a fait prisonniers les Français
de l'Airbus et eux, ils crient parce qu'ils ont peur..."
Sid Ali rentre un soir de janvier, bouleversé . -"Ils
ont tué mon ami José, lui qui disait toujours qu'il était plus
algérien que les Algériens..."
-"Oui mais c'est un Juif" lance
étourdiment, en guise d'explication, celle-là même que Sid Ali
avait autrefois rabrouée pour les mêmes raisons.
Sid Ali
réagit violemment et s'interpose entre la portière ouverte, qu'il
referme de toutes ses forces, et l'homme qui donne des ordres :
-"Qu'est-ce que vous faites ? Vous êtes fous. Arrêtez
tout de suite."
Le chef se jette sur lui en criant :
"On veut la fille. Elle est pour nous". Un bref corps à corps
s'engage. Sid Ali hurle : "Enferme-toi, Sara, enferme-toi".
-"Pardonnez-moi mais je ne sais pas
encore vraiment qui je suis. Une moitié de moi est musulmane,
depuis longtemps, l'autre est juive, depuis peu."
De la flamme dansante des bougies
brûlant dans leurs chandeliers de cuivre a surgi l'envoûtement
d'un instant de plénitude absolue, fugace étincelle d'éternité.
|