CHAPITRE
QUATRIEME
MŒURS ET TRADITIONS
LA RELIGION
LE JUDAISME
Certains
historiens prétendent que la présence des juifs dans le Maghreb remonte
aux temps immémoriaux. De nombreuses tribus berbères furent judaïsées,
la fameuse Kahéna en tête.
Chassé par
l’inquisition médiévale de 1391, de grandes figures du judaïsme espagnol
accostent sur les côtes d’Afrique du Nord, précédant de plus d’un siècle
la grande inquisition de 1492 qui succède à la Reconquista. Parmi ces
hommes érudits, porteurs de plusieurs sciences ardues telles la
théologie, la médecine, l’astronomie, les mathématiques, la
linguistique, Simon Ben Semah DURAN dit RASHBAZ et son maître Isaac ben
Chechet Barfat dit RIBACH, réunifient le judaïsme du pays en proie à de
nombreuses influences régionales dont les branches se détachaient peu à
peu de l’arbre de vie israélite pour se maquiller de coutumes empruntées
la mystique musulmane. RASHBAZ (1365-1444) rédige les Taqqanots, lois
matrimoniales qui font autorité encore de nos jours auprès des
communautés séfarades du bassin méditerranéen. A sa mort, cet homme
pieux laisse une œuvre considérable, une grande lignée de rabbanim et de
nombreux chefs de la Nation Israélite. Une descendance qui portera très
haut le nom des DURAN dans le ciel du Judaïsme Algérien. Un mausolée
abrite les deux saints, RIBACH et RASHBAZ, au cimetière de l’Esplanade
où les membres de la communauté brûlent une bougie à chaque visite lors
du jour de Roch Hoddesh. Ce mausolée, respecté par les musulmans qui
honorent les saints du judaïsme comme leurs propres saints est
malheureusement troublé en 1880 par le Génie qui transfère le cimetière
de la porte Bab El Oued à Saint-Eugène. Après avoir regroupé les
ossements des tombes civiles, les ouvriers s’attaquent à coups de
pioches au mausolée mais sa résistance vient à bout des hommes et des
outils qui se brisent comme des jouets.
Superstitieux
comme tout musulman qui se respecte, les indigènes voient dans cette
aventure une intervention divine et renoncent à l’entreprise. Des
soldats français leur succèdent alors mais le même phénomène
reproduisant les mêmes effets, les autorités déposent le mausolée dans
sa totalité au cimetière de Saint-Eugène.
L’arrivée
massive des « marranes » en 1492 peut faire croire à l’émancipation des
juifs mais la prise d’Alger par les Ottomans force la communauté à se
replier sur elle-même. La condition de « dhimmi » pour droit de vie et
de pratique de la religion cantonne les israélites dans une prison à
ciel ouvert, les privant de tout droit élémentaire. Interdiction leur
est signifiée de porter les couleurs du drapeau turc, le noir leur est
fortement recommandé, leur attitude se doit de ne pas faire de vagues,
de s’effacer sur le passage d’un musulman, de ne sortir de la « hara »,
quartier réservé où la mortalité due à l’insalubrité est la plus forte,
qu’accompagné d’un notable. Nommés par un comité des sages, trois Chefs
de la Nation Israélite se voient confirmés ou infirmés par la Régence
qui utilise les compétences des grands négociants de la communauté pour
les finances, le commerce, les relations diplomatiques avec les
consulats étrangers, le secrétariat et la traduction de nombreuses
langues. Les BACRI et les DURAN figurent parmi les plus célèbres
représentants de cette caste qui gagna le droit de s’habiller à
l’européenne, les autres juifs ne portant que l’habit noir
judéo-espagnol. La France conquérante porte l’espérance en un monde
meilleur, en une émancipation sociale qui les positionnerait à égalité
avec les musulmans. Ce qu’elle fit et amplifia grâce au concours de la
communauté pour la compréhension de l’âme musulmane, de ses mœurs et
coutumes, pour l’apport incontestable des notables qui se mirent au
service de la France en de nombreux domaines tels le change des
nombreuses monnaies du pays, la topographie des lieux, la météorologie,
la traduction des consignes envers les musulmans et la parfaite
connaissance du pays tant de fois sillonné lors de voyages commerciaux.
Les juifs sont
les premiers habitants du souk Bab El Oued. Arrimée à la basse casbah,
une fraction de la communauté est délogée par un plan d’urbanisation
qui, certes, aère la vieille ville mais la défigure tout autant. Les
rues de Chartres, de la Lyre, la rue Marengo, la place Randon qui
deviendra Place du Grand Rabbin BLOCH après la mort de celui-ci, tué
dans les Vosges le 29 août 1914 en portant un crucifix à un blessé
chrétien agonisant. s’ouvrent à la civilisation.
La grande
synagogue, l’une des plus anciennes d’Alger avec la " Hara " , le temple
de la rue Volland, conserve toutefois ses fidèles, habitants de la haute
et basse casbah, nostalgiques d’une époque, dépositaires de l’âme juive
au cœur de la vieille ville barbaresque.
LA SYNAGOGUE DE LA PLACE DU
GRAND RABBIN BLOCH
Le judaïsme séfarade d’Algérie tente vainement de résister à la leçon de
l’Alliance universelle Israélite qui juge d’un mauvais œil ce judaïsme
archaïque, tonitruant, dont les Temples résonnent de prières
exubérantes. Judaïsme issu des réflexions de grands Rabbanim tels
MAÏMONIDE, NAMANIDE, RIBACH, RASHBAZ ou le RAB de Tlemcen considérés,
à juste titre, comme des monuments
de la pensée juive.
L’assimilation religieuse tarde alors que la francisation se révèle
immédiate, tout au moins dans les esprits. Les premiers enfants juifs
délaissent l’école hébraïque afin de « tester » l’enseignement de la
France. La peur de voir les nouvelles générations emboîter le pas de la
France et rejeter la religion de leurs pères s’avère sans fondement. Les
élèves s’acclimatent fort bien tout en conservant leur judaïté. Le pari
est gagné. Le judaïsme d’Algérie s’inscrit, alors, dans l’Alliance
Universelle Française. Le Consistoire Central englobe l’Algérie dès
1845. Les « milah », les Bar misvah, les mariages, conservent néanmoins
le rite séfarade algérois et les synagogues de Bab El Oued résonnent des
mêmes prières que celles d’antan.
Toutes voiles
dehors, les juifs de la vieille ville se laissent, alors, porter par le
vent de modernisme qui souffle sur Alger. Même si leur âme est orientale
et viscéralement attachée à cette casbah qui parle encore de leur
enfance, ils revêtent leur habit de lumière française le jour, se
réservant le costume indigène pour les soirées parfumées d’autrefois.
Bab El Oued accueille ces citoyens de seconde zone sous l’empire
ottoman que le décret CREMIEUX naturalisera en 1870. Les grands rabbins
du faubourg, Messieurs DADDOUCHE et KAMOUN, circoncissent pratiquement
tous les mâles du quartier dans une ronde éternelle de la vie qui voit
les enfants devenus pères assister à la « milah » de leurs propres fils.
Les Temples des
rues Volland, Suffren et Dijon ouvrent leurs portes et leurs bras à une
communauté qui prie à haute voix, sans se cacher des puissants et des
sots. La création de l’Alliance Israélite, du Consistoire, de l’O.R.T
s’inscrivent dans le cadre de cette évolution.
Hubert Zakine
http://pageperso.aol.fr/pointepescade/mapage/livres.html
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