L'HISTOIRE
DES JUIFS A ORAN DE L'ANTIQUITE A NOS JOURS.
Par
Madame ATTIAS Mireille
Origine des
juifs en Afrique du Nord. Selon une légende du Hoggar, les juifs à
l'origine de l'artisanat du fer.
Arrivée des
juifs avec les Phéniciens.
Origine
palestinienne des populations berbères.
Immigration
des juifs de Cyrénaïque et d'Egypte au 2ème siècle.
ORAN :
son origine
: La Kouïza de Ptolémée et de Pline l'Ancien.
Les
différentes invasions : Les Vandales, les Arabes.
Disparition
de la ville vers 645.
Véritable
création de la ville vers 903 : Ouahran.
Les premiers
juifs avec les Almoravides, puis avec les Almohades.
Persécutions
diverses ainsi qu'avec les Mérinides.
1287 : 1ère
arrivée des juifs de Majorque.
1391 puis
1492 : Arrivée des juifs d'Espagne. Les juifs d'Oran s'adaptent à
cette nouvelle civilisation.
1509 : Prise
d'Oran et de Mers El Kébir par les Espagnols.
Vie libre
des Juifs jusqu'en 1669.
1669 :
Expulsion totale des juifs.
1708 : Les
Turcs s'emparent d'Oran. Les juifs reviennent.
1732 :
Retour des Espagnols. Les juifs sont de nouveau expulsés.
Nuit du 8 au
9.10.1790 : Un terrible tremblement de terre détruit la Ville.
1792 : Les
Turcs reprennent possession de la ville et le bey accorde diverses
faveurs aux juifs pour qu'ils se réinstallent à Oran.
1830 :
Arrivée des Français à Alger. Le Pourim d'Oran.
1831 :
Arrivée des Français à Oran, organisation des écoles, la langue.
1859 :
Arrivée des juifs de Tétouan.
1865 :
Senatus consulte sur l'état des personnes et des biens.
1870 : Le
décret Crémieux.
A partir de
1871, l'antijudaïsme à Oran, ses différentes formes à travers
les élections et les journaux. L'abbé Lambert.
La situation
des juifs durant la 2ème guerre mondiale.
Les lois
raciales
L'organisation
de la Résistance
L'opération
Torch
Oran après
la 2ème guerre mondiale.
Les journaux
Evolution
démographique
Les moeurs
et les traditions : origine de la Mouna; histoire de la Vierge de
Santa Cruz.
Promenade
dans Oran des années 50
1er novembre
1954 : début de la guerre
1956 :
Grève des dockers à Oran . Saccage des magasins du quartier juif
14 mai 1958
à Oran
29 avril
1959 : entretien de De Gaulle avec Pierre Laffont, directeur de
l'Echo d'Oran
12 décembre
1960 : Profanation du cimetière juif d'Oran
1961 :
l'O.A.S.
1962 : Les
attentats
L'incendie
du port le 25 juin
Tuerie du 5
juillet
L'exode
L'après-Français
à travers Oran d'aujourd'hui.
Comme on ne
va pas jusqu'à la fin des temps reprocher à Camus de n'avoir vu
qu'une ville ordinaire, rien de plus qu'une Préfecture Française
de la côte algérienne ( C'est l'introduction de " La Peste
"), nous allons plutôt écouter son professeur de philosophie,
Jean Grenier : " Cette tache blanche, c'est Oran ; cette tache
d'encre violette, c'est la Méditerranée ; rien n'est plus beau
pour celui qui aime d'un même amour l'Afrique et la Méditerranée
que de contempler leur union depuis Santa Cruz ".
Voyons donc
la création d'Oran, d'abord ville phénicienne puis romaine ;
ensuite, après 300 ans de disparition, Ouharane fut refuge de
pillards et de corsaires, puis Oran espagnole jusqu'au tremblement
de terre en 1790 et l'occupation par les Turcs jusqu'à l'arrivée
des Français.
Avant d'en
arriver à la période douloureuse qui précède notre départ, nous
ferons une promenade dans cette ville qu'aucun nuage n'assombrit
encore et qui est devenue la cité la plus animée, le centre
commercial le plus actif d'Algérie. Après l'évocation de ces
années, nous nous promènerons dans l'Oran d'aujourd'hui redevenue
Wharan, une ville éteinte et dont le coeur ne bat plus.
L'agglomération
d'Oran remonte aux premiers âges de l'humanité. Les recherches de
paléontologistes et de naturalistes ont établi l'existence d'un
Oran préhistorique très important et l'on peut visiter encore les
nombreuses grottes du Murdjadjo où nos premiers aïeux avaient
laissé des traces de leur passage et des vestiges de leurs
industries : coup de poing chelléen, haches, couteaux ou scies en
silex, en quartzite ou en grès siliceux, toutes ces pièces que
nous avons pu admirer dans la salle d'ethnographie au premier étage
du musée Demaeght.
Ainsi, la
belle grotte aux trois ouvertures qui se trouve à l'origine du
ravin de Noiseux abritait certainement un notable ou un riche
négociant, sans doute en vins, car n'oublions pas que le Murdjadjo
était couvert de vignes sauvages fournissant un vin rude tel que le
feront plus tard les Pères Blancs de Misserghin.
Dès les
premiers siècles du IIème millénaire avant notre ère, les
Phéniciens fondèrent des établissements commerciaux et amenèrent
avec eux les premiers Juifs. Carthage prit ensuite la relève mais
ce sont les Romains qui assurèrent la prospérité de Portus Divini
qui englobait les sites d'Oran et de Mers-El-Kébir. La pratique de
l'irrigation permit le développement des plantations d'oliviers et
de vignes, et l'accroissement des cultures céréalières et de
l'élevage. L'Oranie devint ainsi une des plus riches contrées de
l'Occident.
Au IVème et
au Vème siècles, l'organisation romaine commence à se
désagréger et après les invasions des Vandales, ces envahisseurs
germaniques venus de l'Espagne, débarqués en 455 et surtout la
conquête par les arabes en 645, la cité s'éteint et disparaît.
Il faut donc
situer la véritable création de la ville d'Oran aux environs de
903, lorsque des marchands arabes de la côte d'Andalousie
construisent quelques habitations et un entrepôt pour leur commerce
avec Tlemcen et les populations nomades du Sahara. Cet
établissement prospère rapidement.
La ville
s'appelle alors Wharan, nom qui signifie : endroit difficile
d'accès ou coupure. Ce mot serait alors expliqué par le site : la
vallée qui sépare le front du Murdjadjo de celui de la montagne
des Lions est une coupure. Plus probablement, la ville doit son nom
au calife Bou Charam Ouaraham qui gouvernait la ville au Xème
siècle. Le nom d'Oran apparaîtra pour la première fois dans un
portulan génois de 1384.
En 910, Oran
est occupé par les Fatimides, une dynastie chi'ite qui avait
Kairouan pour capitale.
En 1083,
c'est au tour des Almovarides. Cette dynastie berbère occupe le sud
de l'Espagne et la plus grande partie de l'Afrique du Nord. Ils
furent vainqueurs notamment des armées chrétiennes conduites par
El Cid Campéador (1043-1099), avant de succomber sous ses assauts.
Rappelons que son surnom du Cid vient de l'arabe sidi (mon
seigneur).
En 1137, les
Almohades conduits par Abd El Moumin, ce génie militaire né dans
le pays de Nédroma, occupèrent toute l'Afrique du Nord, les
royaumes de Cordoue et de Grenade. Ils furent défaits par les
chrétiens à Las Navas de Tolosa le 17 juillet 1212.
En 1242, la
dynastie berbère des Mérinides occupe le royaume de Grenade, tout
le Maroc et une partie de l'Algérie, guère plus loin qu'Oran
cependant. Ils étaient surtout de grands bâtisseurs. Mais malgré
toutes ces occupations successives, Oran devient peu à peu une
ville puissante.
Le système
douanier, le commerce avec Marseille, Gènes et surtout Venise avec
qui Oran a signé un traité de Commerce en 1250 font des Oranais
des gens riches. Ils exportent de la laine, des peaux, des burnous
fins, des tapis, des haïks, du cumin, des noix de Galle (ou galle
d'Alep, c'est la tumeur résultant de la réaction des végétaux
piqués par un insecte) et parfois aussi des esclaves noirs.
Vers la fin
du XIVème siècle, Oran a alors atteint un tel degré de
prospérité qu'un contemporain enthousiaste, Ibn Khaldoun, le
célèbre historien arabe pouvait s'écrier : " Oran est
supérieure à toutes les autres villes par son commerce. C'est le
paradis du malheureux. Celui qui vient pauvre dans ses murs en sort
riche. ". Mais la richesse de la ville excite la convoitise de
nombreux princes berbères qui se disputent sa possession.
Oran est
alors sous la coupe des Beni Zian, les gouverneurs de Tlemcen. Le
luxe et la richesse portent les Oranais aux excès les plus
condamnables. Ville de corruption et de relâchement dans les
moeurs, Oran devient le berceau de la piraterie et Mers El Kébir un
nid de forbans. Ces pirates poussaient l'insolence jusqu'à venir
enlever les galions des Indes sous le feu des batteries espagnoles
et faisaient continuellement des descentes armées, des côtes de
l'Andalousie à Gibraltar.
Dans les
premiers jours de juillet 1501, une expédition préparée par les
Portugais tente de débarquer à la plage des Andalouses qui est
ainsi nommée car c'est à cet endroit que débarquèrent les
premiers Maures chassés d'Espagne qui furent pris par les
populations autochtones pour des Andalous. La flotte surprise par un
vent contraire louvoya pendant trois jours. Les arabes eurent le
temps de réunir des hommes et reprirent l'avantage . Cette
expédition échoua et c'est seulement le 19 mai 1509 que les
Espagnols prirent la ville . Ils l'occupèrent cette première fois
jusqu 'en 1708.
C'est de
cette époque que datent les constructions militaires : En 1690 Don
Alvarez de Bzan y Sylva, marquis de Santa Cruz fait construire au
sommet du pic de l'Aidour le fort qui porte son nom.
En 1708, les
Turcs sous le commandement du Bey Mustapha ben Youssef, dit Bou
Chlahem, l'homme aux grandes moustaches, le fondateur de la ville de
Mascara s'empare d'Oran.
En 1732, les
Espagnols sont de retour à la suite de la victoire remportée à
Aïn El Turk par le Comte de Mortemar.
En 1780, les
Espagnols entament des pourparlers avec l'Angleterre en vue d'un
échange avec Gibraltar. C'est un échec, heureusement ! Sinon nous
serions Anglais aujourd'hui !
Dans la nuit
du 8 au 9 octobre 1790, peu après 1 heure du matin, 22 secousses
successives ébranlent la ville et font s'écrouler une grande
partie des maisons. En moins de 7 minutes, 3000 personnes sont
ensevelies. Des secousses se font sentir jusqu'au 22 novembre.
A la suite
de ce terrible événement, le roi d'Espagne Charles IV ne
s'intéressant plus à l'occupation de cette ville d'Oran qui
devenait de plus en plus onéreuse et périlleuse, entame des
discussions avec le bey d'Alger. Un accord est conclu, et le 6 mars
1792, le bey Mohammed El Kébir prend possession d'Oran . Jusqu'en
1830, les beys firent d'Oran leur capitale au détriment de Mascara.
Le 4 janvier
1831, les Français font leur entrée officielle dans la ville. Ce
n'est pas tout de suite la paix - au contraire -. Abd El Kader va
créer l'insécurité en harcelant l'armée française et il faudra
12 ans avant que le duc d'Aumale ne fasse prisonnier toute sa smalah
en mai 1843.
Abd El Kader
ne fera sa soumission à Louis-Philippe que le 23 décembre 1847.
Mais dès 1835, le génie avait entrepris la route en corniche vers
Mers El Kébir avec le percement d'un tunnel et les Français
s'étaient lancés dans la restauration de la ville :
- En 1836,
le général de Létang crée la magnifique promenade d'où l'on
peut jouir d'un si beau panorama.
- De 1841 à
1845, Lamoricière crée un village regroupant les étrangers : Le
village des Djalis (étrangers), appelé ensuite le village nègre
avant de devenir la " ville nouvelle ".
- En 1848,
un hôpital civil est édifié rue du Cirque.
LA
DEMOGRAPHIE ET LES DIFFERENTES POPULATIONS.
Dès le
IIème avant J.C., ce sont les Phéniciens qui habitent Oran et
surtout les juifs qui eux, y font commerce. Depuis ce temps les
juifs sont présents dans la ville et seuls parmi toutes les
entités humaines, ils ont connu sans perdre leur identité la
longue série d'empires qui gouvernent cette terre depuis Carthage
jusqu'à la France.
Et lorsque
Isabelle la Catholique expulse tous les juifs d'Espagne, le mardi 31
juillet 1492, c'est 200 000 personnes qui s'expatrient et un millier
d'entre eux vers le Maghreb ; Oran en recevra la plus grande part.
En 1770,
Oran est une ville de 532 maisons particulières et 42 édifices
publics ; une population de 2 317 bourgeois et 2 821 déportés
libres se livrent au négoce. Lorsque les Espagnols quittent Oran en
1792, il ne reste qu'un seul européen, un Français, le sieur
Gaillard né en 1750 à Paris et naturalisé Espagnol sous le nom de
Gallardo ; il se fait musulman en acceptant la charge de joaillier
du bey. Son fils hérite de la charge et les Français le trouveront
en arrivant, exerçant son métier.
En 1794, des
pèlerins venus de la Mecque apportent une nouvelle épidémie de
peste et la ville redevient pratiquement déserte.
En 1832, le
recensement fait par le commissaire du roi, Pujol, indique une
population de 3 800 habitants : 750 européens, 250 musulmans et 2
800 israélites. Malgré une épouvantable épidémie de choléra en
1849, la ville va se développer rapidement. En 1961, les
statistiques donnent 400 000 habitants : 220 000 européens et 180
000 musulmans. Oran est alors la première ville d'Algérie où la
population européenne dépasse en nombre la population musulmane.
Depuis le 31
janvier 1848, la ville est érigée en commune et jusqu'en 1962, 28
maires s'y succéderont et s'appliqueront à embellir peu à peu
leur ville.
Jusqu'en
1850, la ville se cantonne dans les bas quartiers avec une seule
pointe sur le plateau représentée par le quartier israélite. Vers
1890, Oran, à l'étroit, commence à grimper vers Karguentah. Peu
à peu, la ville sort de ses limites et de nombreux faubourgs se
créent : Saint Antoine, Eckmuhl, Boulanger, Delmonte, Saint Michel,
Miramar, Saint Pierre, Saint Eugène, Gambetta.
L'administration
française distribue de nombreux lots de terrains de 4 à 12
hectares à de petits colons européens et nombre d'entre eux
tentent leur chance :
Au 1er
janvier 1847, 47 300 Français étaient venus d'Alsace, des Vosges,
du Dauphiné et du sud de la France en même temps que 31 000
Espagnols, 8 800 Maltais, 8 200 Italiens et 8 600 Suisses et
Allemands qui passaient pour être les plus mauvais colons.
La
consanguinité espagnole est constatée dans 80% environ de la
population française d'origine européenne, mais bien peu de
particularités permettaient encore de les distinguer. Si les
spectacles de danses ou de musique espagnole continuaient de plaire
aux Oranais, les courses de taureaux n'avaient plus de succès et
les arènes d'Eckmuhl tombèrent en ruines.
Les Oranais
de Tlemcen, Mostaganem, Mascara, Sidi-Bel-Abbès ou Relizane
étaient pour la plupart des descendants d'émigrés espagnols,
levantins ou andalous qui, au milieu du XIXème siècle avaient fui
la misère de leur pays. Leurs grands-pères étaient arrivés à
bord de balancelles transportant des cargaisons de gargoulettes. Sur
la blouse noire des paysans alicantins, ils transportaient au bout
d'une canne un baluchon qui constituait tout le patrimoine familial.
Dans la cour
des écoles, ceux dont le nom avait une consonance ibérique
étaient des "escargots" parce que leurs parents étaient
venus en Algérie "transportant leur maison sur leur dos".
Seul les prolétaires continuaient à parler le patois valencien ou
andalou et à pratiquer un catholicisme fortement entaché de
pratiques superstitieuses. Les Levy ou les Cohen étaient des
"piments" , car la frita, mets à base de poivrons doux,
constituait pour eux une nourriture de base. Les musulmans qui
portaient à l'époque la chéchia ou le fez étaient à cause de la
forme et la couleur de leur coiffure des "fromages de
hollande", des "bouteilles cachetées" ou des
"melons". Les Durand et les Dubois, fraîchement arrivés
de la Mère Patrie, si loin qu'il fallait alors 40 heures de bateau
pour y parvenir, étaient des "francaouis".
Le terme
"patos" est né plus tard. En espagnol, un patos est un
canard ; et les braves paysans limousins ou jurassiens que la France
envoyait servir au 2ème régiment de Zouaves à Oran ou au 2ème
Chasseurs d'Afrique à Mascara avaient souvent la démarche
chaloupée de ce palmipède.
Les gens
nés dans le pays n'étaient pas encore des Pieds Noirs. Ils
s'étaient attribués, pour se distinguer des nouveaux débarqués
de nom de " margaillons ". Un margaillon en jargon
pataouète est un palmier nain qui pousse un peu partout, qui peut
vivre des mois sans eau et qui ne se laisse arracher qu'avec
beaucoup de difficultés ; il était pour eux un symbole d'endurance
et de résistance. ( on peut rapprocher ce mot de celui de Sabra qui
est une figue de Barbarie et qui est le surnom du juif né en
Israël.) Tous ces surnoms ne devenaient péjoratifs qu'au cours
d'une discussion... ou d'un match de football, ce qui revient au
même.
Les mariages
avaient brassé les descendants des communautés originelles
métropolitaines, ibériques ou italiennes . Venaient s'y ajouter
quelques gouttes de sang grec ou maltais. Les légionnaires
démobilisés à Sidi Bel Abbès se fixèrent aussi volontiers dans
le pays. Il y eut quelques mariages entre chrétiens et juifs, très
peu entre européens et musulmans et pas du tout entre musulmans et
juifs. Ce n'était pas du racisme mais une incompatibilité de
règles religieuses et de moeurs, la polygamie des uns étant
incompatible avec la monogamie des autres.
La
proximité de l'Espagne (par temps clair, de la côte de Bel Horizon
qui domine la rade de Mers El Kébir du haut de ses 511 mètres, il
est possible d'apercevoir à l'horizon le sommet de la cordillère
du Cap de Gata), une occupation de trois siècles par les armées
espagnoles, ont donné aux Oranais un caractère qui leur faisait
dire en parlant des Algérois de la rue d'Isly, que ces derniers
étaient les Lyonnais de l'Algérie. Autant les Algérois se
montraient réticents à accepter un étranger, autant les Oranais
avaient le sens ibérique de l'hospitalité.
Le 14
juillet 1865, date à laquelle Napoléon III signe le senatus
consulte sur l'état des personnes et de la naturalisation qui
frappe de nationalité française les israélites et les musulmans
qui le désirent, marque le début, en Algérie et à Oran, de la
période anti-juive. Dès le début, l'antisémitisme algérien est
une affaire de politique électorale. La première ligue anti-juive
est fondée en juillet 1871 pour écarter les juifs des urnes ;
nouveaux électeurs, ils sont 15% du corps électoral et en mesure
d'arbitrer les conflits. Car, dociles et sans formation politique,
ils votent selon les indications de leur consistoire. Or ceux-ci
sont parfois présidés par des personnalités aussi discutées que
le fut Simon Kanoui "Le Rotschild d'Oran", grand électeur
de l'Oranie de 1871 à 1897 et qui proclamait beaucoup trop haut et
beaucoup trop fort que personne n'entrerait à la Mairie sans son
aval. Quand l'affaire Dreyfus éclate, la vague anti-juive grossit
brusquement.
Des ligues
anti-juives se créent, rassemblant dans un parti
"français" les électeurs de gauche. Ils l'emportent aux
élections municipales de 1897 : C'est le pharmacien Gobert, radical
anti-juif, qui est élu. En mai 1897, un attentat contre un
conseiller municipal d'Oran, venu assister à une course cycliste à
Mostaganem, provoque le pillage du quartier juif de cette ville par
les Musulmans et les européens. Cet exemple est suivi à Oran où
la mise à sac des boutiques appartenant aux israélites dure trois
jours.
Cependant le
gouvernement refuse d'accéder aux exigences de la population qui
demande l'abrogation du décret Crémieux.
Mais le
marasme économique dans lequel se débat l'Algérie démobilise les
politiciens. " On ne vit pas de politique " est-il écrit
dans la dépêche algérienne du 1er avril 1902. Aux élections de
la même année, les candidats républicains l'emportent sur les
anti-juifs : Le calme est revenu.
Le
porte-parole de l'anti-judaïsme sera longtemps un vieux médecin,
le docteur Molle. Celui que ses amis appellent le rénovateur de
l'antisémitisme algérien, ne pardonne pas aux juifs d'avoir voté
contre lui. Fondateur d'une " ligue latine" , puis d'une
" union latine " qui appelle l'union des latins contre les
juifs, il réussit à obtenir le boycott des commerçants juifs. Aux
élections municipales de mai 1925, sa liste l'emporte avec 2 000
voix de majorité.
Le docteur
Molle est soutenu dans sa campagne par le journal "Le Petit
Oranais" qui a pour manchette une phrase de Luther : " Il
faut mettre le soufre, la poix et s'il se peut le feu de l'enfer aux
synagogues et aux écoles juives, détruire les maisons des juifs,
s'emparer de leurs capitaux et les chasser en pleine campagne comme
des chiens enragés ". Obligé, à la suite d'une plainte du
Gouverneur Général Violette de retirer cette manchette, le journal
ornera, quelques années plus tard, sa première page d'une croix
gammée. Les Unions Latines du docteur Molle prospérèrent et, de
1926 à 1932, elles domineront la vie politique de l'Oranie.
En 1932, un
an après la mort du docteur Molle, Oran et Sidi Bel Abbès éliront
encore des députés qui se proclament d'abord anti-juifs, par
exemple Michel Pares qui se mettra au service de Mussolini.
Avec la
montée de la crise économique, l'antisémitisme un peu assoupi se
réveille ; "Le Petit Oranais" retrouve son ton furieux ;
d'immenses croix gammées peintes au goudron apparaissent sur le mur
des édifices d'Oran. Les établissements Juan Bastos ornent leurs
cahiers de papiers à cigarettes de 12 croix gammées sans qu'on
puisse dire s'il s'agit d'un manifeste politique ou d'un sens
publicitaire dévoyé. La crise économique est toujours fort
préoccupante et, le 17 décembre 1933, " Oran Matin" note
: " Babouchiers, cordonniers, brodeurs n'ont plus rien à faire
; tous se promènent dans les rues offrant le triste spectacle du
chômage et de ses funestes conséquences. " Le Maire, quant à
lui, constate que " des tribus entières de pauvres diables
n'ont rien ; tant que durent les figues de Barbarie, ils peuvent
vivre ; après, ils en sont réduits à voler. "
La crise
viticole des années 34 et 35 favorise la création de fronts
paysans et la campagne du Front Populaire sert également de
prétexte à une nouvelle et vigoureuse poussée d'antisémitisme.
A Oran, le
maire, l'ex-Abbé Lambert, prêche, coiffé du casque colonial et
ceint de l'écharpe tricolore, la mobilisation générale contre les
juifs et le Front Populaire. Fondateur des "amitiés
Lambert", il reprend la politique anti-juive des " unions
latines" et désigne le Front Populaire comme une manifestation
d'impérialisme juif. Or ce dangereux démagogue, idole de la plèbe
oranaise, déchaîne l'enthousiasme à chaque discours . Son buste,
vendu 3 francs se trouve dans toutes les maisons oranaises ; c'est
paraît-il une précieuse amulette pour les femmes en couches.
Il faudra la
loi du 21 avril 1939, réprimant les excitations à la haine raciale
pour faire taire provisoirement les anti-juifs d'Algérie.
L'Abbé
Lambert avait bâti sa propagande sur ses talents de sourcier,
promettant l'eau douce à tous les Oranais. Mais c'est bien après
lui que la ville et la région seront alimentées en eau douce. Et,
histoire de se rappeler le bon temps, bon nombre d'Oranais
ajouteront du sel dans leur tasse de café.
L'Abbé
Lambert prêchait aussi l'aide à la " reconquista" , et
les élus de droite se feront une gloire d'avoir été les premiers
à réclamer la reconnaissance officielle du gouvernement Franco.
Pendant que les dirigeants des " Unions latines"
ravitaillaient les franquistes en volontaires et en argent, les
syndicats d'Oran participaient à la contrebande de guerre et
facilitaient les départs des brigades internationales.
Mais à
Oran, la vie politique est aussi conditionnée par les journaux et,
si le "Petit Oranais" a eu un certain temps un impact
certain sur une partie de la population, "L'Echo d'Oran"
fut le journal le plus important. C'est le plus ancien et le plus
diffusé : 80 000 exemplaires en 1936, 93 500 en 1938 et 120 000
dans les années 60. Il cessera d'exister en 1963. Fondé en 1844 -
le numéro 0 est du samedi 5 octobre 1844 - par Adolphe Perrier, un
imprimeur lorrain banni par Louis-Philippe pour avoir exprimé des
sentiments trop républicains, ce journal paraissait tous les
samedis et se qualifiait "d'organe d'annonces judiciaires,
administratives et commerciales" .
Il affiche
entre les deux guerres les opinions d'une droite modérée. A partir
de 1945, il est dirigé par Pierre Laffont, arrière petit-fils du
fondateur. Né en 1913, député en 1958, c'est un libéral
modéré. L'Echo d'Oran est le journal des européens et des
musulmans acquis aux européens.
LES
TRADITIONS
Dans les
vieux quartiers de la Marine, à la saison chaude, si les chaussées
et les magasins sont déserts aux longues heures de la méridienne,
les chaises occupent les trottoirs dès la tombée de la nuit. On va
prendre le frais sur les falaises bordées de palmiers du front de
mer.
Mais c'est
à Pâques et à l'Ascension que la fiesta prend tout son sens.
"La
Mouna" est surtout la fête du printemps et l'exode du citadin
vers les rares coins de verdure des environs ; la source Noiseux
pour les piétons, les pinèdes de Canastel, de la Montagne des
Lions ou M'sila pour les motorisés. Pour les chrétiens, c'est le
moment d'honorer la Vierge de Misserghin. Plus qu'un gros village,;
Misserghin est une immense jardin d'orangers. C'est le berceau de la
clémentine, cette variété de mandarine à la peau plus fine et
plus rouge et à la chair ferme et sucrée. C'est là que l'abbé
Clément la créa à la suite de longues recherches et de greffes
heureuses de bigaradiers. Et, au bout d'un ravin embaumé par les
fragrances des agrumes en fleurs, s'ouvre une grotte, reproduction
de celle de Lourdes, avec ses béquilles, ses corsets orthopédiques
et d'autres vestiges de miraculés reconnaissants.
Le plat du
jour est, soit le riz à l'espagnole, soit le "gaspacho",
qui est un épais et succulent ragoût de porc, de gibier ou de
volaille servi sur une immense fougasse ou "coca" . C'est
au dessert qu'apparaît l'événement tant attendu : la
"Mouna", pâtisserie briochée surmontée d'oeufs
coloriés.
L'origine de
cette Mouna est peu connue : Au 16ème siècle, les rois d'Espagne
envoyaient dans leurs présidios africains (Ceuta, Malilla ou Oran)
ceux de leurs courtisans qui s'étaient rendus indésirables à
l'Escurial. Ces présidios ou places fortes avaient leur Bastille .
Celle d'Oran se trouvait sur un pennon rocheux, à cheval sur la
rade de Mers El Kébir . Parce que les singes ("monos" en
espagnol) y étaient aussi nombreux qu'à Gibraltar, cette roche et
la forteresse qui s'y dressait portait le nom de la mona. Ce fut
ensuite le fort Lamoune, siège de l'Amirauté jusqu'en 1962. Une
seule fois l'an, le dimanche de Pâques après la communion, les
déportés avaient le droit d'apercevoir leurs famille qui
résidaient tout près de là, dans le quartier de la Blanca, en
bordure de l'enceinte de la casbah.
Les parents
se réunissaient au pied des murs et faisaient passer aux
prisonniers, au bout de longues perches, un gros gâteau préparé
pour la circonstance et que depuis on continue à appeler la
"Mouna".
En échange,
les prisonniers embastillés faisaient descendre des plaques de
tôle sur lesquelles ils avaient fait cuire une purée de farine de
pois chiches, leur maigre pitance toute l'année. Cette espèce de
flan de prisonnier devait se manger très chaud car il durcissait en
refroidissant . On l'appelait la "calentica" (de
"caliente" chaud, en espagnol). La calentica, vendue par
des marchands ambulants, est restée longtemps le plat du pauvre.
Le jeudi de
l'Ascension, les catholiques honoraient la vierge de Santa Cruz.
Cette vierge a une histoire : En 1849, la population, alarmée par
une longue période de sécheresse et une épidémie de choléra,
adresse une supplique au général Pelissier commandant la Garnison.
Chacun pensait en effet, que seule une forte pluie pouvait les
débarrasser de la maladie. Dans le village nègre, un taureau avait
été sacrifié dans le tintamarre agaçant des castagnettes et le
tam-tam assourdissant des tambourins. Mais le ciel restait
obstinément clair.
C'est alors
que les Espagnols proposèrent de monter nu-pieds, sur les genoux
pour les plus courageux, jusqu'au château fort que le marquis de
Santa Cruz avait fait bâtir tout au sommet du djebel Murdjadjo.
Avec la bénédiction bourrue du général Pelissier, les pèlerins
escaladèrent les flancs arides de la colline dominant le petit port
de la Calère, portant sur leurs robustes épaules une statue de la
Vierge qui fut déposée au pied du fort, à l'endroit ou un
promontoire rocheux permet d'embrasser un magnifique panorama.
La plaque
commémorative signale : "dédiée à la vierge Notre Dame du
Salut après l'épidémie de choléra de 1849. Inauguration le 9 mai
1850 par Monseigneur Pavy, évêque d'Alger. La statue a été mise
en place sur la tour le 6 décembre 1873."
Des cierges
brûlèrent par centaines, des prières furent dites à l'intention
de Notre Dame de Santa Cruz et le lendemain, la pluie tomba. Telle
est la légende qui est à l'origine de la patronne des Oranais qui
lui dédièrent une chapelle, puis une basilique, inaugurée en 1950
par le cardinal Roncalli, le futur Jean XXIII.
Repliés en
métropole, les Oranais n'eurent qu'une pensée : Faire revenir leur
protectrice auprès d'eux. Et, tandis que le Monument aux Morts
d'Oran était transféré à Lyon, quartier de la Duchère (Avenue
Balmont), Notre Dame de Santa Cruz recevait l'hospitalité de
l'humble église de Courbessac, près de Nîmes.
LA DEUXIEME
GUERRE MONDIALE ET L'OPERATION TORCH
Le 19 juin
1940, l'armistice est signé entre l'Allemagne et la France. Le 17
juin, Pétain avait formé son gouvernement. L'armistice qui ampute
la France de sa capitale et des deux tiers de son territoire lui
laisse le contrôle de ses colonies et des protectorats.
Les
Français d'Afrique du Nord sont en général solidaires de la
politique du Maréchal Pétain. Ils voient en lui le héros de la
Grande Guerre. Cette auréole ne manque pas d'aggraver la situation
des Juifs d'Afrique du Nord . La population musulmane ne peut que
baigner dans l'ambiance ouvertement collaboratrice qui prévaut ici.
C'est de sa
libre initiative, sans y être contraint par des pressions
allemandes que Vichy promulgue les lois raciales de 1940 et abroge
le décret Crémieux. Les lois anti-juives de cette époque sont
d'inspiration française. La notion de race est même étendu à
certaines catégories de juifs épargnés par les lois de Nuremberg.
En mars
1941, le Commissariat aux Affaires Juives est chargé de
l'application des lois raciales avec pour mission d'éliminer
l'influence juive de tous les domaines de la vie publique. Ces lois
visent à l'élimination physique des Juifs autant qu'à
l'effacement de l'influence culturelle du judaïsme. Aux yeux des
antisémites, il ne s'agit rien de moins que de défendre la race
française contre l'invasion juive. Les Juifs algériens perdent
leur citoyenneté et ne peuvent plus l'obtenir, à moins d'être
titulaires de décorations décernées durant la première Guerre
Mondiale.
Les Juifs
sont alors exclus des professions d'avocats, de médecins, du
domaine des assurances, des transactions immobilières et de
l'enseignement, à l'exception des écoles confessionnelles et de
celles de l'Alliance Israélite Universelle. En août 1941, le
nombre d'étudiants juifs est limité à 3% . Pour le second degré,
il est de 7% en 1942-43. Les juifs sont également exclus des
Organisations de Jeunesse.
Pour faire
face à l'épreuve, sous la direction du rabbin Eisenbeth, dès le 9
janvier 1941 est créé un comité d'études, d'aide et
d'assistance. Des écoles privées sont ouvertes pour accueillir les
élèves exclus de l'enseignement public. A Oran, André Bénichou,
professeur de philosophie, contacte des enseignants juifs et
non-juifs. Il demande à son ami Albert Camus d'assurer des cours de
français. C'est pendant cette période que le grand écrivain situe
" La Peste ".
Le 20
janvier 1942, la solution finale est décidée à la conférence de
Wandsee.
Les Juifs
d'Algérie font alors connaissance des camps de travail, très
efficaces aux yeux des agents de la Gestapo qui les visitent au
début de 1942. Il semble même que le Gouverneur Général
d'Algérie, Chatel, aurait préparé des étoiles jaunes pour
distinguer les juifs désormais voués au programme de la
"solution finale".
Face à
cette situation, les juifs comprennent vite qu'ils n'ont pas d'autre
possibilité que de résister et ils s'organisent aux côtés de la
Résistance, née de l'appel du Général de Gaulle. A Oran, un
groupe d'universitaires crée un réseau dirigé par les frères
Pierre et Roger Carcassonne auxquels se joignent Henri de la Vigerie
et le Père Cordier. A la fin de 1942, la Résistance en Algérie
est suffisamment forte pour avoir une influence décisive sur le
cours de événements. Elle va décider les USA à libérer
l'Afrique du Nord.
Depuis août
1942, les Anglais préparent "L'Opération TORCH"; cette
opération prévoit d'attaquer les Allemands sur leurs arrières
tandis que la Résistance française doit les harceler. Le
Commandement des Armées alliées s'installe à Gibraltar, tandis
que le Commandement de la Résistance est au domicile du professeur
Aboulker, 26 rue Michelet à Alger.
Dans la nuit
du 7 au 8 novembre 1942, les résistants sont à leur poste. Si à
Alger tout se passe bien, si les pertes y sont minimes, il n'en va
pas de même à Oran.
Les
Américains, débarqués à Arzew et sur la plage des Andalouses,
doivent faire face aux armées vichystes . Les combats sont durs sur
la route de la Sénia, sur le Murdjadjo, à St Cloud et à Aïn El
Turck. Ce n'est que le 10 novembre 1942 à 11h21 qu'Oran capitule.
La
résistance de la ville coûtait 243 morts à la Marine, 94 à
l'Armée et 10 à l'Aviation française de Vichy. Les forces
terrestres américaines avaient perdu 276 d'entre eux.
Pour
beaucoup de Français, l'Algérie d'avant 1939 était une colonie.
Le rôle que ce pays fut appelé à jouer après le débarquement,
l'importance de la participation des combattants pieds noirs et
musulmans aux côtés de leurs camarades évadés de France
contribueraient à modifier l'opinion.
Sur
l'initiative du Président René Cassin, le 20 octobre 1943, le
décret Crémieux est remis en vigueur.
Certains
soldats juifs et non juifs sont alors incorporés dans l'armée de
de Lattre de Tassigny. Ils y servent dans des régiments de défense
antiaérienne ou dans l'infanterie coloniale et débarquent en Corse
et à Toulon d'où ils remonteront jusqu'en Allemagne. Les autres
partent avec le général Juin pour Monte Cassino où bien des
soldats mourront au combat sans distinction de race ou de religion.
On ne peut
parler d'Oran et ignorer Mers El Kébir La première forteresse fut
construite par les Maures au temps de leur domination en Espagne.
Les sultans de Tlemcen y firent bâtir au XVème siècle une petite
ville qui, après la chute de Grenade devint un nid de forbans.
Occupée par les Portugais, elle tombe le 23 octobre 1505 aux mains
des Espagnols, fut détruite plusieurs fois, reconstruite, presque
ruinée à nouveau. Le fort actuel date de 1748. Occupée dès le 24
juillet 1830 par le capitaine Leblanc, commandant le brick " Le
Dragon ", Mers El Kébir devient une ville française le 14
décembre 1830.
Dès lors
son histoire se confond avec celle d'Oran. Toutefois, il n'est pas
possible de parler de Mers El Kébir sans évoquer la triste affaire
du 3 juillet 1940. Ce jour-là, une escadre britannique se présente
devant la ville et somme l'amiral Gensoul, commandant de la flotte
de l'Atlantique, soit de rallier, soit de se saborder. La méfiance
de Churchill, qui n'avait pas voulu courir le risque de voir la
flotte française grossir les forces de ses ennemis, allait causer
la mort de 1297 marins français et la perte de trois cuirassés: Le
Dunkerque, le Provence et le Bretagne. Seul, le Strasbourg atteindra
Toulon le lendemain. Mers El Kébir provoque le retournement
instantané de toute la marine française, pro-anglaise à 100%
jusque là.
Après la
deuxième guerre mondiale, elle devient une base navale très active
aux installations souterraines importantes. C'est une petite ville
française de 8 000 habitants. Concédée par bail à la France pour
une durée de 15 ans, elle est définitivement évacuée en 1968.
En partant
de Mers El Kébir, la route de la corniche oranaise traverse, 3 kms
avant Oran, les Bains de la Reine, un petit établissement thermal.
Cette source était connue des arabes bien avant l'occupation d'Oran
par les Espagnols. D'après la légende, une source aurait jailli
sur l'invocation de Sidi Dedeyeb. A la prise d'Oran, le Cardinal
Cisneros fit usage de ces eaux. Adoptées par la noblesse espagnole,
elles doivent leur nom aux visites répétées de Jeanne la Folle,
fille d'Isabelle la Catholique. Ce sont des eaux chlorurées,
sodiques, bromurées, d'une température de 55 degrés.
Nous entrons
dans Oran par le vieux port et les vieux quartiers de la Marine.
Entre les douanes et l'arsenal, empruntons la rue basse d'Orléans,
puis à droite la rue Matelot Landini, vieille rue voûtée typique
de ce vieux quartier espagnol. Elle rejoint la rue de l'arsenal
juste au pied de la cathédrale Saint Louis.
Cette
église a une histoire que racontent deux plaques commémoratives,
apposées sur la façade. Ses transformations successives retracent
et symbolisent le sort des juifs oranais jusqu'à la conquête
française. En arrivant à Oran en 1509, les Espagnols ont trouvé
deux mosquées: l'une deviendra l'église de Santiago Saint Jacques,
l'autre construite avec les matériaux d'une chapelle du couvent des
moines de l'ordre de Saint Bernard avait d'abord été une
synagogue. Elle deviendra l'église espagnole de Sainte Marie ainsi
qu'en témoigne le docteur Thomas Shaw qui visite Oran en 1730.
De 1708 à
1732, elle redevient une synagogue. De nouveau une église en 1732,
elle est abandonnée à partir de 1792 et tombe en ruines.
Réédifiée, elle devient une aumônerie militaire le 25 décembre
1833, puis une paroisse sous le vocable de Saint Louis en décembre
1838. Elle est érigée en cathédrale le 25 juillet 1866. Elle
renferme les tombeaux des évêques d'Oran.
Par la place
Kléber, la place de l'ancienne Préfecture et la rue Philippe, nous
allons passer devant la mosquée du Pacha. Elle fut construite sur
les ordres du Dey d'Alger, suzerain d'Oran vers 1735 en mémoire de
l'expulsion des Espagnols et avec l'argent provenant du rachat des
esclaves chrétiens.
Dans la
courette propre et paisible, la fameuse fontaine de marbre,
délicate production de l'art arabe que l'ange Gabriel (prétendent
les fidèles) rapporta d'Espagne après le départ des Maures. Le
minaret que l'on aperçoit du belvédère, rue de la Mosquée, est
de plan octogonal, d'un modèle unique.
En
traversant les jardins du Château Neuf, nous admirons la magnifique
promenade, créée en 1836 par le Général de Létang, qui porte
son nom et d'où l'on jouit d'un superbe panorama. Elle est plantée
de palmiers, de ficus, de bellombres, de pins et de platanes. Chaque
année un critérium est organisé dans les jardins.
La porte du
Caravansérail rappelle que le premier hôpital civil construit par
les Français devait être un abri pour les caravanes arrivant du
sud.
Nous voici
place Maréchal Foch. L'ancienne Place d'Armes est la cour de la
vieille ville moderne. Elle est plantée de beaux palmiers et ornée
de la colonne commémorative du combat de Sidi Brahim avec deux
statues en bronze de Dalou (1898). Au bas de la colonne, la France
inscrivant le nom de ses héros, au sommet, la gloire apportant des
palmes. En 1845, à la Koubat de Sidi Brahim (tombeau d'un marabout
vénéré), un détachement de chasseurs d'Orléans y tint
glorieusement tête à un ennemi 20 fois supérieur en nombre.
Sur le
côté sud de la place, l'Hôtel de Ville. Construit de 1882 à
1886, on y accède par un large escalier orné de deux lions en
bronze du sculpteur Auguste Caïn (1822-1894), né à Paris,
sculpteur animalier élève de Rude. On raconte que la nuit, ces
lions descendent l'un après l'autre de leur socle et tournent
silencieusement autour de la place en levant la patte contre les
palmiers.
A
l'intérieur, les superbes rampes sont en onyx d'Algérie, extrait
des carrières de marbre toutes proches.
A l'ouest de
la même place, le théâtre. C'est un élégant monument de style
composite, construit en 1908-1909. La façade est flanquée de deux
tours couronnées de coupoles dorées entre lesquelles se trouve un
groupe sculpté par Fulconis.
Par le
boulevard Sébastopol et la rue Paul Doumer, nous arrivons au
Musée. Sa création est due au zèle du Commandant Demaeght à qui
il a emprunté son nom.
Le
rez-de-chaussée est occupé par des bas-reliefs, des fragments
d'architecture et des inscriptions provenant de Saint-Leu, Arbal,
Aïn-Temouchent et Lamoricière. Au premier étage sont les
résultats des fouilles préhistoriques effectuées dans la région
et au deuxième étage, des tableaux et des gravures avec entre
autres un bronze de Valeton représentant un tigre et une tigresse.
Par le
collège Ardaillon, nous allons, soit au cimetière israélite, soit
au parc municipal des sports. Oran a toujours été une ville où
toutes les disciplines étaient pratiquées avec une égale
réussite. La natation y a formé le recordman du monde Alain
Gottvallés et au tennis, la championne Françoise Durr y a fait ses
premières armes.
Les jardins
du parc municipal offrent un cadre accueillant et délassant. Les
lacs artificiels où glissent des cygnes dispensent une fraîcheur
bienfaisante.
A l'angle du
boulevard Galliéni et de la rue El Moungar, voici la Banque de
l'Algérie et la rue Ampère. Le boulevard Galliéni est l'ancien
boulevard du lycée, car tout au bout se trouve le lycée
Lamoricière., un lycée de garçons avec son propre monument aux
morts.
Lorsque le
11 novembre 1957, Robert Lacoste décidera de résilier les sursis
des étudiants pour décapiter la toute puissante Association
Générale des Etudiants, les étudiants du lycée Ardaillon, du
lycée Lamoricière, du lycée de jeunes filles Stéphane Gsell
(proche du palais de justice, avec son internat important et très
sévère), les étudiants, donc, organisèrent un meeting monstre à
la Maison de l'Agriculture, la Maison du Planteur ou Maison du
Colon.
Ces
étudiants adhérèrent en masse à l'AGELCA (Association Générale
des Lycées et Collèges de l'Algérie). Ils lancèrent une édition
régionale du " Bahut ", leur journal qui se voulait
indépendant et organisèrent des visites dans les hôpitaux.
En 1920, 302
classes seulement étaient ouvertes. En 1962, plus de 1 100 classes
étaient répertoriées, partagées en 37 écoles de garçons dont 1
d'apprentissage, 36 écoles de filles et 15 écoles maternelles.
L'enseignement secondaire comptait 5 établissements et un indice de
fréquentation de 32 700 élèves. Deux écoles normales
préparaient les instituteurs et institutrices tandis que 15
établissements privés préparaient aux écoles terminales.
La Grande
Mosquée : Restaurée sous Napoléon III, son minaret carré domine
toute la ville basse. Elle a aussi sa légende: bâtie sur
l'emplacement d'un marais, elle nécessita d'importantes fouilles
car Allah voulait que sa profondeur égale la hauteur d'un minaret
pour montrer aux fidèles que l'âme peut s'élever aussi haut
qu'elle peut tomber bas dans la fange.
LA GUERRE ET
LE DEPART
Le 1er
novembre 1954, à 1 h 15 du matin , le F.L.N. frappe les trois coups
du drame qui commence. La veille, le divisionnaire Lajeunesse est
arrivé chez le Préfet d'Alger Vaujour, Directeur de la Sûreté.
Il est venu spécialement d'Oran, porteur d'une boîte de conserve
au couvercle soudé et percé d'une mèche : la première bombe.
On est
préoccupé, mais personne ne veut croire à une insurrection.
Pourtant ce soir du 1er novembre 1954, le destin d'un million et
demi de Français vient d'être scellé.
François
Quillici, député d'Oran, s'informe de l'enseignement que le
Gouvernement entend tirer quant à sa politique nord-africaine, des
événements tragiques qui ont fait entrer les départements
algériens dans le cycle du terrorisme. La réponse sera peut-être
la nomination au poste de gouverneur général de l'Algérie de
Jacques Soustelle.
Le 3 avril
1955, par 394 voix contre 212, le Parlement français vote la loi
sur l'état d'urgence, c'est à dire l'organisation de la nation en
temps de guerre et l'augmentation de la compétence des tribunaux
militaires.
Le docteur
Sid Cara, député d'Oran, se scandalise qu'après tant
d'atermoiements, le gouvernement offre l'état d'urgence en fait de
réformes.
A Aziz
Kessous, socialiste algérien, Albert Camus écrit à la même
époque, en 1955 : Le fait français ne peut être éliminé en
Algérie et le rêve d'une disparition subite de la France est
puéril. Mais inversement, il n'y a pas de raison non plus que 9
millions d'arabes vivent sur leur terre comme des hommes oubliés.
A la fin de
1955, Oran n'est qu'à peine un département en guerre : Aucune
modification n'a été apportée à l'organisation et à la
répartition des moyens de défense. Lorsque débute l'insurrection
algérienne, la municipalité dirigée par Fouques-Duparc, vient
d'inaugurer un " boulevard du Front de Mer ", longue
jetée de 5 kms qui donne à la capitale de l'ouest algérien une
ouverture vers le large.
1956 : La
vague de terrorisme déclenchée en Oranie et qui commence à
déferler sur tout l'ouest algérien a pour but essentiel de faire
basculer les populations musulmanes dans la rébellion. Le point de
départ est la mort, à Tlemcen, du docteur Ben Zerdjeb, considéré
comme un des chefs du F.L.N. Arrêté à la mi-janvier 1956, il
tente de s'évader pendant son transfert de Tlemcen à Sebdou et est
abattu par les gendarmes. Des émeutes marquent ses obsèques.
Différents
mouvements se créent, comme " Fraternité Algérienne "
qui groupe notamment de nombreux médecins européens, ou "
l'association des maires d'Oranie " qui déclare " qu' ils
se dresseront résolument contre toute action directe ou indirecte
qui tendrait à la sécession de l'Algérie. "
En février
1956, le F.L.N. lance un mot d'ordre de grève. A Oran, ce sont les
dockers, en grande majorité musulmans, constitués en un puissant
syndicat affilié à la C.G.T., qui donne le départ du mouvement le
2 février et décide de se rendre en cortège de la ville arabe
jusqu'à la Préfecture.
La foule qui
les accompagne veut tout casser sur son passage. Les vitrines volent
en éclats, des voitures sont renversées et incendiées. En ville
nouvelle (l'ancien village nègre), toutes les boutiques ont fermé
leurs portes et la population s'est enfermée dans ses logements.
Mais les rares européens qui vivent dans ce quartier, surtout des
Français de confession israélite, verront leurs magasins pillés,
surtout si ce sont des bijouteries ou des magasins de vêtements.
Des coups de
feu partent des terrasses. Les Tirailleurs Algériens sont
consignés sont consignés dans leur caserne et ce sont les C.R.S.
qui doivent intervenir.
D'autres
émeutes ont éclaté dans les quartiers à forte densité
musulmane: Lamure, Lyautey, Médioni...
En début
d'après-midi, les manifestants arrivent à hauteur de la synagogue,
tout en continuant à saccager boutiques et bars, s'acharnant
particulièrement sur les magasins appartenant aux juifs. En fin de
journée, les émeutiers regagnent leurs quartiers, mais l'agitation
se poursuit le lendemain. Un premier bilan donne 1 mort, 8 blessés,
28 véhicules brûlés ou endommagés et une vingtaine de magasins
saccagés et incendiés.
Dès lors,
la ville arabe va vivre repliée sur elle-même, presqu'entièrement
coupée de la ville européenne par un réseau de barbelés que le
Préfet Lambert a fait établir au débouché de chaque rue. Durant
toute l'année 1957, l'Oranie en général et Oran en particulier
est à peu près calme. La vie continue. La guerre ne ralentit
nullement l'essor de l'économie oranaise.
1958 : Le 15
avril, en France le Gouvernement Félix Gaillard est renversé.
Le 13 mai
1958, Oran se réveille dans une atmosphère de fièvre, les nerfs
à fleur de peau. En début d'après-midi tombent à chaud les
premiers appels de la radio : Alger est dans la rue. Les Oranais
sont invités à les imiter.
Vers 18 h,
la ville semble morte. Les Oranais sont à la place des Victoires,
au square du Souvenir.
Le 14 mai,
les Oranais se lèvent avec le soleil. Chacun se pose des questions:
du préfet Lambert au maire Fouques-Duparc, en passant par les
commandants Carlin et Charbonnel, ou le colonel Yéménitz qui
commande les unités territoriales. Dans l'après-midi, rassemblés
par milliers au stade Fouques Duparc, les Oranais vont descendre
investir la Préfecture. La foule est si nombreuse qu'elle fait
écrouler les escaliers du premier plan. Il y eut des blessés. Le
préfet Lambert est transféré au Château Neuf avant de rejoindre
la Métropole.
Le général
Réthoré assume les pouvoirs civils et militaires. Le 15 mai, le
général Massu envoie à Oran, le colonel Trinquier pour y
installer le comité de salut public.
Le 6 juin,
de Gaulle est à Oran, place du Champ de Manoeuvres. Il s'adresse à
la foule dans une atmosphère plus réticente qu'à Alger. Il avait
d'abord refusé de voir les membres du comité de salut public,
bêtes noires du maire Fouques Duparc. C'est à Oran que va circuler
le premier tract anti-gaulliste.
1959 : Le 21
avril, Michel Debré est à Oran. Il flétrit la lâcheté des
terroristes. Le 29 avril, le général de Gaulle accorde un
entretien à Pierre Laffont, directeur de l'Echo d'Oran. Il y
prononce le mot d'intégration et la fameuse formule: "
L'Algérie de papa est morte. Si on ne le comprend pas, on mourra
avec elle. " Le 16 septembre le général de Gaulle fait son
discours sur l'autodétermination du peuple algérien.
1960 : Le 24
janvier, Villeneuve, conseiller municipal d'Oran, élu sur une liste
" Union du 13 mai " invite les Oranais à dresser leurs
premières barricades et à déclencher dès le lendemain matin une
grève générale illimitée. Le lendemain à midi, le mot d'ordre
est suivi dans toute sa rigueur. Le comité de vigilance s'installe
dans l'appartement de madame Campredon à l'angle de l'avenue Loubet
et de la rue Leclerc. Il comprend le docteur Laborde, messieurs
Robert Tabarot, Christian Conessa et Raymond Rosello.
La
principale barricade dressée d'un trottoir à l'autre de la rue
Leclerc reçoit la visite d'Achille Zavatta et de sa femme de
passage à Oran.
Dans les
jours qui suivent, les animateurs de ces barricades sont expulsés
d'Algérie. Ils ne devaient plus y revenir.
En février
1960, à Azziz, petit village de la Kabylie, le général de Gaulle
annonce que " l'Algérie sera Algérienne ".
C'est à la
fin de l'année 1960 que les juifs commencent à sentir leur destin
basculer. Jusque là ils se considéraient liés à jamais à la
terre algérienne. Mais quand le F.L.N. décide d'élargir ses
opérations militaires aux grandes villes, il s'attaque à la grande
Synagogue d'Alger, complètement saccagée le 12 décembre et au
cimetière juif d'Oran qu'il profane. C'est le début d'une angoisse
de l'avenir que l'O.A.S. va exploiter.
Au début de
1961, Lagaillarde, réfugié à Madrid, contacte un ancien
journaliste de l'Echo d'Oran, Tassou Georgopoulos, propriétaire du
"Café Riche", place Villebois Mareuil, sergent-chef dans
les armées territoriales, en vue de la création d'une armée
secrète. Ce dernier s'adjoint Georges Gonzalès, propriétaire d'un
garage et Robert Tabarot, ancien boxeur et neveu du créateur d'
" Oran Républicain ".
Le général
Jouhaud avait été pressenti pour prendre la direction de l'O.A.S.
en Oranie. Ce général d'aviation à 5 étoiles, grand officier de
la Légion d'Honneur, titulaire, était né le 2 avril 1905 à Bou
Sfer. En fait, au dernier moment, c'est le général de brigade
Gardy qui en prendra le commandement, puis les envoyés du général
Calle.
C'est par la
radio que les Oranais apprennent le Putsch, très tôt le samedi 22
avril. Le mardi suivant, la partie est jouée et perdue. Mais cet
épisode de quatre jours que les Oranais n'ont pas prévu, va les
inciter à se regrouper dans leurs organisations clandestines.
Jouhaud qui
a opté lui aussi pour la clandestinité, arrive à Oran le 20 août
suivant pour prendre le commandement du secteur sous le nom de Louis
Gerber. Il se fera assister de Charles Micheletti et de son fils
Jean-Marie.
Le 27 août
1961, les premiers drapeaux frappés au sigle de l'O.A.S.
apparaissent sur les cabanons de la plage d'Oued Hallouf près
d'Aïn Témouchent.
Le
couvre-feu est décrété à 21 heures à la suite de nombreux
attentats. La ville est partagée en deux. Le F.L.N. contrôle les
180 000 musulmans de la ville nouvelle, des faubourgs Médioni,
Lamure et Petit Lac sur lesquels flotte le drapeau vert. l'O.A.S.
contrôle les quartiers du Centre, Gambetta, Eckmühl, Saint-Eugène
et la Marine.
L'année
1961 se termine par un appel à la mobilisation générale des
populations d'Algérie.
Le début de
l'année 1962 est marqué par une recrudescence des attentats et une
opération terre brûlée: Les dépôts d'essence du port sont
incendiés. Les combats de rues se déchaînent, les plasticages
nocturnes se multiplient : jusqu'à 45 en une seule nuit.
Le 19 mars
un cessez-le-feu intervient. Il ne dure qu'une journée. Dès le
lendemain, les accrochages reprennent: 20 morts pour cette seule
journée.
Le dimanche
25 mars 1962, le général Jouhaud est arrêté, boulevard Front de
Mer dans l'immeuble "Le Panoramic", au 8ème étage, alors
qu'il déjeunait chez ses amis Raymond. Les Oranais sentent venir la
fin.
Fin juin
1962, Oran est devenue la ville de "La Peste" que Camus
décrivait: Les ordures s'amoncellent au milieu de la rue, les
téléphones sont coupés, les magasins éventrés vomissent leurs
débris sur le trottoir, les petites rues en pente, vidées de leurs
habitants dégagent une odeur sans nom.
Le lundi 25
juin 1962, à 17 h 45, l'O.A.S. tire au bazooka dans les cuves de
mazout de la British Petroleum, dans le port d'Oran : Vision
dantesque de flammes qui montent à plus de 150 m. Dans certains
quartiers, il fait presque nuit, et cette "éclipse" dure
deux jours.
Le 27 juin
à 19 heures, c'est l'arrêt des émissions de " Radio OAS
".
L'agonie de
l'Algérie Française va se terminer à Oran par la tuerie du 5
juillet. Ce jour-là, une fusillade éclate, déclenchée par des
" éléments irresponsables ", diront les Autorités
algériennes. Une vague de folie meurtrière part des faubourgs
musulmans vers les quartiers européens. Les victimes sont
retrouvées pendues aux crochets des abattoirs de la ville ou
jetées à la décharge publique du Petit Lac. Un bilan officiel
reconnaîtra 101 morts dont 25 européens et 163 blessés. Mais ces
chiffres sont loin de refléter la triste réalité : plusieurs
milliers de personnes enlevées à leur domicile ou sur leur lieu de
travail n'ont jamais été retrouvées. Monsieur Jean de Broglie a
admis le chiffre de 3000 disparus. On ignore encore à ce jour ce
qu'elles ont pu devenir.
Des paroles
de regret seront prononcées par le nouveau préfet de la Wilaya,
Souiah Abdelkader qui donnera l'ordre d'arrêter les meneurs et les
présentera à la Presse avant d'ordonner leur comparution devant un
tribunal de l'A.L.N.
Ce fut alors
le grand départ et le début du lamentable exode d'un million et
demi de Français d'Algérie.
1 380 000
personnes arrivèrent en France dont 17 000 en Corse, 50 000
arrivèrent en Espagne, 12 000 émigrèrent au Canada, 10 000
rentrèrent en Israël et 1 550 personnes se retrouvèrent en
Argentine.
30 000
personnes seulement restèrent en Algérie sur cette terre qui les
avait vu naître, où leurs parents étaient enterrés et où ils
voulaient mourir.
ORAN APRES
LES FRANCAIS
Aujourd'hui
Oran est devenu Wahran.
En 1984,
c'était une ville de 890 000 habitants (400 000 en 1960).
Cependant,
en arrivant en avion, première surprise : pas de bateaux dans le
port. La crise du logement y sévit comme dans toutes les grandes
villes d'Algérie. Le parc hérité en 1962 et dont 27% provenait
des biens vacants abandonnés par la population française,
constituait encore en 1977 les ¾ de l'habitat, pour une population
qui s'était accrue de 44%. Le taux d'occupation était supérieur
à 3 personnes par pièce. C'est ce qui explique le vieillissement
de la ville, à l'exemple de cette Maison Darmon qui n'a plus rien
à voir avec le commerce vivant et grouillant de monde que nous
avons connu.
Si la
scolarisation a doublé, l'effectif du cycle primaire, le nombre des
lits d'hôpital est toujours très insuffisant (1 médecin pour 800
habitants à Oran).
Des
étudiants se sont affronté aux forces de l'Ordre à plusieurs
reprises. En 1982, des lycéens avaient entraîné avec eux dans
leur sillage, les laissés pour compte du système scolaire au point
de transformer ces manifestations en émeutes.
Un bon
nombre de rues et de places ont changé de nom : la Maison du Colon
n'est plus place Karguentah, mais place Zeddour Brahim El Kacem et
le boulevard Galliéni où se trouve le lycée Lamoricière est
devenu la rue Ameur Brahim, tandis que la place de la Bastille
devenait celle du Maghreb. La préfecture, construite peu de temps
avant l'indépendance est devenue Willaya. Endommagée à ce moment,
il a fallu quelques années pour la réparer. Depuis 30 ans, l'Etat
algérien est devenu le premier employeur, le premier investisseur,
le premier producteur et le premier commerçant. Il s'est fait
reconnaître le statut de grand entrepreneur et de grand
distributeur. Il détient le monopole en matière idéologique et
culturel.
La place du
1er novembre 1954, ancienne place Maréchal Foch, ancienne Place
d'Armes a encore belle allure avec ses illuminations et ses massifs
entretenus avec soin. C'est le lieu de promenade favori des
musulmanes et des chômeurs. Mais notons que certaines plaques de
rues n'ont pas été changées . Celle de la Place Maréchal Foch
était toujours là en 1980.
La colonne
Sidi Brahim est devenue un monument à la gloire d'Abd El Kader. Des
plaques de marbre masquent les noms de nos héros et la citation de
Dutertre : " Camarades, défendons-nous jusqu'à la mort "
a disparu. Une plaque avec le portrait d'Abd El Kader les remplace.
La Mairie
avait subi d'importants dommages, juste avant l'Indépendance. Elle
a été réparée et reste aujourd'hui aussi majestueuse avec ses
lions. Espérons qu'aujourd'hui, par dépit, ils ne vont plus se
promener sur la place.
Le boulevard
Joffre se dirigeant vers le faubourg St Antoine est devenu boulevard
Maata Mohamed El Habib. C'est sur ce boulevard que se trouve la
grande synagogue d'Oran, construite à l'initiative de Simon Kanoui
à partir de 1880. Par ses lignes de style judéo-arabe, elle
évoque son grand passé biblique. C'est aujourd'hui une mosquée :
Le croissant a remplacé l'étoile de David. L'horloge appelle les
fidèles à la prière.
Le musée a
été fermé un certain temps, mais aujourd'hui il est de nouveau
ouvert au public. Sa bibliothèque contient 29 000 volumes et 3
manuscrits arabes. Elle occupe l'aile droite du bâtiment.
Le théâtre
dit " National Algérien " est toujours aussi imposant.
Le théâtre
de verdure, situé anciennement rampe Valès, aujourd'hui rampe du
commandant Ferradf, ne produit que quelques spectacles et seulement
l'été.
La
cathédrale a perdu sa statue de Jeanne d'Arc. Celle-ci a été
rapatriée après l'indépendance à Caen. La place est devenue
celle de la Kahéna. On peut souligner l'incongruité d'une telle
appellation puisque la Kahéna symbolise la résistance à
l'invasion arabe. Selon la tradition, en effet, la Kahéna, reine
des Berbères de l'Aurès était juive. Elle résista 5 ans aux
assauts des troupes arabes avant d'être tuée en 698. Ce fut sa
mort qui donna le signal de la reddition des tribus berbères
judaïsantes.
La rue de
Gènes est toujours cette rue en escaliers. Aujourd'hui, elle ne
rejoint plus la rue Philippe, mais la rue Bénamara Boutkhil.
La
cathédrale Saint Louis dans les années 80 abritait une école de
couture et servait de logement à une famille musulmane.
Aujourd'hui, soit la malveillance et le manque d'entretien, mais
plutôt les mouvements du terrain l'ont fait disparaître.
La gare des
chemins de fer algériens est sur le boulevard " Mellah Ali
" dit "Colonel Chérif ". C'est l'ancien boulevard
Marceau. La place est très animée.
Le boulevard
Maréchal Leclerc est redevenu rue d'Arzew et est toujours la rue
commerçante. La place Villebois Mareuil, c'est maintenant la place
Franz Fanon.
Les plages
sont pratiquement désertes. A Maraval, les moutons ont repris le
terrain et paissent tranquillement dans les champs non cultivés.
Sur un guide
récent de l'Algérie, il est dit à propos du Chateau-Neuf :
"Après avoir subi différentes restaurations assez
malencontreuses, il présente peu d'intérêt "
APPENDICES
La crise
antijuive
Les années
1898 à 1900 concentrèrent une série d'événements à caractère
révolutionnaire : La crise antijuive. On l'attribue parfois à une
réaction contre la naturalisation des juifs algériens,
consécutive au décret Crémieux; mais elle constitua aussi une
manifestation d'hostilité envers la métropole. Certes
l'antisémitisme des Européens d'Algérie était latent, mais il
fut exploité par les hommes politiques locaux qui dénonçaient le
" monopole " des voix juives ( En Oranie, les voix juives
représentaient 15% de l'électorat - plus de 50% à Tlemcen-. Les
motivations d'ordre électoral restèrent toujours à l'origine de
cet antijudaïsme.)
En juillet
1884, Simon Kanaoui, le " Rothschild d'Oran ", cristallisa
cette campagne; des pillages de magasins israélites
dégénérèrent en émeutes à Alger. En 1892 le socialiste
anarchiste Fernand Grégoire déclarait ouverte la lutte contre les
" syndicats judéo-opportunistes ". Des ligues antijuives
se formèrent à Constantine et Oran en 1896. En mai 1897 en Oranie,
on assista à des décisions arbitraires allant de la révocation
des agents de police israélites à l'expulsion de malades juifs
soignés dans les hôpitaux.
Les
manifestations se succédaient; des effigies de Dreyfus furent
brûlées en place publique. Les menées antijuives trouvèrent un
porte-parole en la personne d'un étudiant, Max Régis Milano, qui
proclama en janvier 1898 " l'heure de la révolution ".
L'émeute se propagea. Le gouverneur Louis Lépine, télégraphiait
au gouvernement français le 25 janvier : " Passion si violente
que malgré les pertes considérables subies à Alger du fait des
troubles, la seule chose que la majorité de la population regrette,
c'est que les juifs et les représentants de l'autorité n'aient pas
souffert davantage. "
En mai 1902,
une succession d'agressions sporadiques motiva l'appel lancé à
Lyautey qui se vit confier le commandement de la subdivision d'Aïn
Sefra (1903-1906), puis celui de la division d'Oran (1906-1910).
L'Afrique
agonisante expire dans nos serres.
Là tout un
peuple râle et demande à manger.
Famine dans
Oran, famine dans Alger.
- Voilà ce
que nous fait cette France superbe!
Disent-ils.
Ni maïs, ni pain. Ils broutent l'herbe.
Et l'Arabe
devient épouvantable et fou.
Victor Hugo.
Quand en
octobre 1940, le ministre de l'Intérieur Peyrouton abrogea le
décret Crémieux sur la naturalisation des Juifs algériens, il
flattait l'antijudaïsme algérien tout en retirant un argument aux
Musulmans qui réclamaient l'extension des droits politiques.
C'est en
1943 que le général de Gaulle fait rétablir le décret Crémieux
et réintégrer les juifs algériens dans la nationalité
française.