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Le voyage en Algérie des Juifs de Tlemcen

Envoyé par admin 
Le voyage en Algérie des Juifs de Tlemcen
05 octobre 2005, 15:30
Le voyage en Algérie des Juifs de Tlemcen


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Extrait de L’Arche n° 567-568, juin-juillet 2005
Numéro spécimen sur demande à info@arche-mag.com


Reproduction autorisée sur internet avec les mentions ci-dessus


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Ils étaient quelque 130 Juifs à se retrouver à l’aéroport d’Orly le dimanche 22 mai avant de s’envoler pour Tlemcen (à 540 kilomètres à l’ouest d’Alger), leur ville natale, que la plupart n’avaient pas revue depuis plus de quarante ans. Si le voyage avait pour but de célébrer la fête de Lag Baomer en se rendant sur le tombeau du rabbin Ephraïm Enkaoua - l’un des maîtres les plus prestigieux du judaïsme d’Algérie, célébré depuis le XIVe siècle -, c’est surtout le besoin de se replonger dans les souvenirs qui a animé les participants. Les Algériens appellent cela la « nostalgérie ».

Une véritable ambiance de colonie de vacances, pimentée par des retrouvailles entre amis d’enfance, a baigné ce voyage organisé par l’association des Juifs originaires de Tlemcen, La Fraternelle. Les pèlerins ont connu des moments très forts en émotion. D’abord, avec la visite de leurs anciennes maisons ; puis, deux jours plus tard, avec le recueillement au cimetière où tous se sont lancés dans une quête anxieuse des sépultures de leurs aïeuls.

Le voyage était soutenu officiellement par les autorités algériennes, qui depuis quelques années encouragent le retour des pieds-noirs, juifs ou non, en espérant aussi y trouver une manne touristique. Cette démarche de rapprochement a trouvé un relais favorable auprès de la population. Le séjour des Juifs de Tlemcen a ainsi été marqué par une bienveillance exceptionnelle des habitants, illustration de la bonne cohabitation qui a toujours régné entre Juifs et Musulmans dans cette ville.

Lydia Amsellem est partagée entre sécher ses larmes et immortaliser le souvenir avec sa caméra. Elle vient de retrouver la maison où elle a grandi à Tlemcen jusqu’à l’âge de 15 ans, et où elle n’est jamais revenue. Ses deux sœurs et son frère aînés sont aussi du voyage. Les autorités de la ville, qui ont veillé à ce que le séjour se passe sans encombre, n’ont cependant pas prévenu les familles propriétaires des lieux. Mais ces visites inopinées n’ont pas empêché un accueil des plus chaleureux.

La famille Boussalah, la même depuis 43 ans à habiter le joli pavillon, ouvre grand ses portes aux Amsellem. La fratrie parcourt les deux chambres, l’immense salon, puis la terrasse où l’on étend toujours le linge, à la recherche de souvenirs d’enfance qui se ravivent au fil des minutes.

« Rien n’a changé, s’exclame Lydia. Je crois que le carrelage était le même. » Chose incroyable : la tortue aussi est là. Comme si le temps s’était figé depuis 1962.

L’émotion est contagieuse. Le propriétaire septuagénaire, Chaïb Boussalah, sanglote. « On vivait bien ensemble. C’est la Révolution (guerre d’indépendance), qui nous a séparés », soupire le vieil homme, commerçant à la retraite. « Vous serez toujours les bienvenus », renchérit-il, offrant à ses invités le verre de l’amitié. « On ne s’attendait pas à un tel accueil », s’enthousiasme Lydia Amsellem, les yeux toujours embués.

L’ambassadeur de France, Hubert Colin de Verdière, a fait le déplacement depuis Alger. Le secrétaire général de la préfecture de Tlemcen représentait le préfet et palliait l’absence, annoncée au dernier moment, du ministre des affaires étrangères algérien, Mohamed Bedjaoui.

Si les voyages des rapatriés d’Algérie se sont multipliés ces deux dernières années, c’est la première fois qu’un pèlerinage communautaire juif est organisé avec le concours des autorités du pays. La presse locale en a parlé avant même l’arrivée des voyageurs. Les quelques fausses notes que l’on a pu entendre, en marge de ce voyage (voir texte suivant) n’ont pas eu d’écho au sein de la population de Tlemcen.

À l’aéroport, le maire de Tlemcen en personne, également représentant du wali (préfet), a souhaité à chaque participant « la bienvenue », signe que le gouvernement algérien apporte une caution officielle au voyage. Sur la route bordée d’oliviers entre l’aéroport et l’hôtel, les pèlerins étaient surpris par les saluts amicaux des badauds, parsemés de très rares gestes d’hostilité venant de « hittistes » - des jeunes désœuvrés au chômage, une véritable plaie pour ce pays longtemps touché par le terrorisme et aujourd’hui en pleine convalescence.

Dans la rue, Tlemcéniens et Tlemcéniennes (voilées ou non) accostent les visiteurs pour partager des souvenirs. Les conversations s’engagent, à peu près toujours sur le même mode : « Ici habitait M. Untel », « Ici, il y avait tel commerce », « Vous vous souvenez, c’est incroyable ! ».

Ravis de cette hospitalité et se sentant très à l’aise, les participants ont très vite faussé compagnie à des autorités sur le qui-vive. Certains s’échappent pour voir « leur » école primaire, une visite pourtant pas prévue dans le programme. L’arrivée de la gardienne est une chance inespérée. Jean-Paul Sportouch court dans tous les sens : « Là, c’était la classe de CP » crie-t-il, euphorique. Andrée Lebar, règle en main, s’improvise institutrice devant d’anciens camarades de classe hilares, assis à leurs ancien pupitres.

La principale du collège de jeunes filles, la tête couverte d’un hidjab, est ravie « de voir d’anciens élèves. Peu importe leur religion ! ». Les visiteurs ont eu accès partout. À la mosquée « Sidi Boumedine » par exemple, dans un quartier où ils n’allaient pas quand ils étaient gamins. C’est pourtant là qu’aujourd’hui une femme entièrement drapée dans un haïk blanc leur adresse un « soyez les bienvenus ».

Kaddour Houbad, conseiller à l’Assemblée populaire communale et qui sert aussi de guide aux visiteurs, ne s’étonne pas de cette hospitalité. « À Tlemcen, il n’y a jamais eu de lutte entre Juifs et Musulmans, même pendant la Révolution (guerre d’indépendance). C’est une entente historique ! »

André Charbit, président de longue date de La Fraternelle et dont le père était un rabbin très estimé à Tlemcen, confirme : « Les liens entre Juifs et Musulmans ont toujours été marqués par un climat de fraternité. Il n’y a jamais eu de politisation, y compris pendant la guerre d’indépendance. »

Il serait faux de dire que cela a été le cas partout. À Constantine par exemple, à l’opposé géographique de Tlemcen, la tension a été plus vive, peut-être aussi à cause d’un lien quasi fusionnel entre les deux communautés. En 2000, une tournée d’Enrico Macias, invité personnellement par le chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika, avait dû être annulée en raison d’une farouche opposition des conservateurs et des religieux, très influents dans cette région.

Les autorités de Tlemcen n’ont pas caché que le bon déroulement de ce voyage pouvait encourager le tourisme dans la ville, qui regorge de trésors inconnus telles que les ruines de Mansourah, une demeure royale du XIIIe siècle. Joëlle Wilmuth, partie comme beaucoup précipitamment en 1962, veut voir dans cette chaleur le signe d’une réconciliation. « On nous donne l’autorisation de nous sentir comme chez nous. C’est notre deuxième culture », se réjouit cette femme pétillante débarrassée de toute rancœur.

Si les pèlerins ont pu se réconcilier avec un exil parfois douloureux, grâce à des retrouvailles avec les amis d’antan ou la visite de lieux remplis de mémoire, l’apaisement ne semblait pouvoir venir que d’un lien retissé avec un passé plus ancien, celui des aïeux qui ont foulé le sol algérien il y a parfois des siècles. Liste de noms dans une main, ils ont ainsi cherché avec anxiété les tombes de leurs ancêtres dans le cimetière israélite, jamais vandalisé mais dégradé par le temps et le manque d’entretien. Avec un mouchoir, ils grattent la poussière pour espérer révéler le nom d’un de leurs proches. Quand c’est le cas, à un bref soulagement succèdent tristesse et recueillement.

Dès qu’un visiteur retrouve une tombe, une dizaine d’hommes se rassemblent, tête couverte, pour le kaddish ou des psaumes, sur fond d’appel à la prière du muezzin. D’autres poursuivent leur quête, angoissés. Un homme, pantalon et chemise en lin blanc, appelle en larmes sa sœur restée en France pour qu’elle lui indique le lieu où est inhumée sa grand-mère. Il retrouvera finalement, visiblement tranquillisé, celle qu’il a « tant aimée ».

« Nous pouvons partir tranquilles. On les a retrouvés », dit Maurice Choukroun, un sexagénaire parisien appuyé sur une canne de fortune pour passer entre les herbes folles et les ronces qui ont résisté au nettoyage entrepris récemment par la ville. La plupart du millier de sépultures que séparent des allées de cyprès ne sont pas dégradées ; les photos des défunts sont intactes. Mais ce n’est pas le cas partout. Le cimetière chrétien et juif d’une ville voisine, Aïn Temouchent, a ainsi été totalement abandonné et abîmé par des séismes.

À la sortie du cimetière, les pèlerins ont fait quelques pas pour rejoindre un parc où se trouve le tombeau du rabbin Ephraïm Enkaoua, vénéré par les Juifs de Tlemcen et de tout le Maghreb. « Le dernier pèlerinage remonte à 1956 », explique André Charbit.

« Pour la Hiloula, les gens venaient de partout - du Maroc, de Tunisie -, des bals se tenaient dans le centre-ville », se souvient M. Choukroun. « Nous venions aussi à la veille d’examens pour attirer la chance », se rappelle Georges Médioni, venu d’Israël avec sa femme Nicole.

Les fidèles se prosternent sur le tombeau. En signe de douceur, du sucre et des friandises y sont versés avant d’être distribués aux croyants. Des dizaines de bougies, pour autant de vœux, brillent ensemble.

Dans cette quête de lien, la nouvelle génération n’est pas absente. Certains, pourtant nés en France métropolitaine ou partis trop jeunes pour avoir conservé des souvenirs, ont fait le voyage. Impossible futur sans connaissance du passé. À 45 ans, Michèle Chekroun, Française qui vit depuis 20 ans à New York, a traversé l’Atlantique pour « retrouver les racines » de trois générations qui ont vécu à Tlemcen. Armelle Touboul, également quadragénaire, a longuement médité sur la tombe de son grand-père qu’elle n’a pourtant jamais connu. Anne-Claire Soussan, 33 ans, a accompagné son père « pour donner de la chair » à des souvenirs devenus « mythiques » tant elle les a vus sur des photos ou entendus au travers de récits parfois embellis. L’exil des parents a rejailli sur les enfants qui peuvent ainsi, grâce à ce genre de voyage, compléter le puzzle.

Avant de partir, les pèlerins ont déposé quelques cailloux sur les tombes de leurs ancêtres, signe de leur passage et peut-être de chagrins enfin consolés.

Sébastien Zeitoun


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« Fausses notes » et manipulations
Parallèlement aux manifestations de sympathie à Tlemcen, le journal en ligne Proche-orient.info relevait des commentaires antisémites dans la presse arabophone d’Alger. Ainsi, on pouvait lire le 21 mai 2005, dans le quotidien Ech-Chorouk El-Youmi : « Les Juifs de Tlemcen en Palestine occupée ou en Israël libre ont déclaré qu’ils entendaient venir en pèlerinage chez eux à Tlemcen. Ils ont également déclaré réclamer à l’État algérien une compensation pour leurs biens laissés lorsqu’ils ont quitté l’Algérie en 1962. Ils ont ajouté que l’indemnisation devait comprendre les préjudices moraux résultant du fait qu’ils ont été privés de pèlerinage à Tlemcen pendant un demi-siècle !... Ces Juifs ont estimé le montant de l’indemnisation à environ 20 millions de dollars américains ! Quand j’ai entendu cette information, j’ai bien compris que ce peuple élabore un plan pour mettre la main sur la moitié des dépôts de l’Algérie dans les banques américaines, lesquelles sont précisément dominées par les Juifs ! ».

Ces outrances antisémites doivent être lues, semble-t-il, dans un contexte plus large : celui d’une agitation entretenue par les adversaires d’un rapprochement entre l’Algérie et les Juifs d’une part, l’Algérie et l’État d’Israël d’autre part.

Le 13 juin 2005, l’Association du Manifeste des Libertés (une association constituée en décembre 2004, dont le credo fondateur se résume ainsi : « Être de culture musulmane et contre la misogynie, l’homophobie, l’antisémitisme et l’islam politique ; retrouver la force d’une laïcité vivante ») publiait un texte dénonçant « une rumeur propagée par un quotidien londonien arabophone de tendance islamiste, El-Quds » relative à des revendications financières que les Juifs originaires d’Algérie préparent contre le gouvernement d’Alger. Cette rumeur, dit le texte, « a été l’occasion d’un flot de propos antisémites particulièrement scandaleux dans un grand nombre de journaux ».

Nous reprenons ici de larges extraits de l’analyse publiée par l’Association du Manifeste des Libertés (lire le texte intégral sur son site internet : www.manifeste.org).


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Passons sur la comparaison entre « les Juifs » et les harkis et sur le fait que « les Juifs auraient livré l’Algérie aux colonisateurs » (Sawt Al-Ahrar, 19 mai), que « les Juifs, au nom de la tolérance et de l’humanisme auraient le droit d’entrer en Algérie comme en pays conquis, dans l’état d’esprit de preneurs de butin » (Echourouk, 19 mai), que « ce peuple élabore un plan pour mettre la main sur la moitié des dépôts de l’Algérie dans les banques américaines, lesquelles sont précisément dominées par les Juifs » (Echourouk, 21 mai), qu’ils « auraient asservi des milliers d’Algériens » et que « quand ils pleurent leur paradis perdu, ils ne pleurent en réalité que leurs privilèges » (El-Bilad, 21 mai), que « leur histoire enfin est un tissu de pages noires, car ils sont connus depuis la préhistoire pour être des maîtres chanteurs. Ce chantage s’est manifesté de façon patente après la fin de la Deuxième guerre mondiale quand la propagande sioniste a inventé les fours crématoires et l’holocauste. Dès lors, l’opinion publique nationale et internationale ne doit pas s’étonner du fait que les Juifs tentent d’exercer un chantage sur l’Algérie comme ils l’ont fait à l’encontre de l’Allemagne... Nous ne pouvons oublier non plus le fait que c’est le Juif Bouchenak qui a été le facteur essentiel de la colonisation de l’Algérie » (éditorial de Echourouk du 23 mai 2005). Passons sur tout cela : chaque pays a ses torchons, et ce flot de propos venimeux - et même négationnistes - peut être analysé comme une réaction raciste et impuissante à ce qui se dessine : le réchauffement des relations amicales entre Musulmans et Juifs algériens.

Mais peut-on se contenter, comme le fait le Quotidien d’Oran, de dire que les « quiproquos et malentendus politiques », déclenchés de fait par la calomnie, sont dus « à la réaction des Algériens qui associent intimement Juifs à Israéliens », sans faire une mise au point sur cette association et expliquer clairement qu’elle fait peu de cas de la cause palestinienne qu’elle est censée défendre ? Comme elle fait peu de cas de la douleur d’un certain nombre de femmes et d’hommes (et ceux mis nommément en cause en particulier) qui ont fait de leur lien profond avec l’Algérie, lien natal, la source d’une recherche objective, honnête, indépendante et riche sur l’histoire du pays. (...) Mais ce qui est plus grave est le consensus de la presse, accompagné, pour certains, d’une absence de déontologie. Il semble que, sur certains sujets, une vague de populisme aigre et haineuse submerge des journaux très différents, avec assomption de boucs émissaires qui sont en l’occurrence les Juifs, mais pourraient être les femmes, les homosexuels, ou les gens du pays d’à côté.
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