Pour ma Bar-Mitswa j'ai commencé à étudier l'hébreu dans ma douzième année (rien d'original à cela), à part qu'il m'avait été recommandé un Maître qui tenait un petit restaurant Rue des Tanneurs à Alger . En plus des langues scolaires (anglais,allemand et latin), je découvris les difficultés de l'hébreu. (Jusqu'alors nous lisions en français la Haggadah et je balbutiais quelques prières sans rien y comprendre !) .
J'appris les rudiments de l'alphabet sur une toile cirée à carreaux, dans un coin où parvenait jusqu'à moi l'odeur d'un barbouche qui cuisait à petit feu. Mon bon Maître heureusement se levait de temps à autre pour surveiller ses marmites et m'accordait ainsi quelques minutes de repos car les lettres noires dansaient devant mes yeux sans que je puisse les assembler convenablement...Mes progrès étaient lents et augmentaient ma terreur à la perspective de l'examen...Une après-midi, après une lecture passable, il se leva et me déclara reçu et bon pour monter à la Téba à la date prévue. Mais il réapparut bientôt en tenant d'une main un Coq par les pattes et de l'autre un rasoir tranchant . Il voulut sanctifier mon saut dans le mode des adultes par un saint sacrifice qui devait alimenter aussi son menu du lendemain . Je restais pétrifié sur ma chaise, le coq la gorge tranchée en une fraction de seconde s'échappa dans le restaurant et ne fut repris qu'après que le sacrificateur réussit à le capturer sous un seau qui étouffa ce spectacle pénible et pour moi barbare . C'est à la petite synagogue de la rue Scipion que je lus ma Paracha. Les lustres de Venise,les plaques de marbre des donateurs, les brocards et les vagues des tallit des fidèles et ma famille émue m'entendirent lire sans trop hésiter les passages des Rouleaux sacrés que déroulait pour moi le célèbre Rabbin Kamoun. Un matin inoubliable, sans photos de la cérémonie à l'intérieur, sans "messiba" criarde et outrancière, seulement une chaude réunion familiale dans le petit appartement de la Rue Sadi-Carnot. Un cadeau précieux qui m'a accompagné dans l'exode en France et jusqu'en Israel: une carte de visite avec les voeux du Grand Rabbin Einsenbeth.
Quelque part sur Zlabia.com un internaute dévoué avait photographié de cette ruelle si étroite ce qui semble être la façade de la Synagogue. Tristesse et désolation, abandon et décrépitude m'ont gaché mes souvenirs d'une époque brillante et chaleureuse du Judaisme algérois.
A tous les juifs et juives de bonne volonté, Shabat Shalom.
