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Ginette des trois horloges

Envoyé par jibril 
Ginette des trois horloges
06 juillet 2010, 20:11
Ginette … des trois horloges


Juin 1962, Alger dans sa moiteur estivale vivait dans l’incertitude contextuelle mêlée a l’angoisse intense de l’âme de ceux qui comme nous, partaient. Je n’avais que six ans, mais je me rappelle parfaitement de cette époque houleuse. A l’école mes camarades m’appelaient Ginette des trois horloges, vous l’aurez deviné c’était parce que j’habitais tout près des trois horloges, sceau emblématique qui caractérisait Bab El Oued, le plus grand quartier populaire d’Alger. Mes parents étaient morts dans un accident d’auto quand j’avais deux ans. Mon papa était d’origine métropolitaine et ma maman, comme me l’avait appris mémé, était fière de ses racines Espagnoles. Tous deux nés a Bab El Oued, ils se connaissaient depuis toujours, leurs parents étaient voisins, amis et collègues, ils travaillaient ensemble à l’usine de Gaz. A la retraite de pépé, mon papa fut embauché à sa place, comme opérateur chaudière, mais ma mère était femme au foyer et s’occupait de nous élever. Apres le décès de mes parents nous vivions, mes deux sœurs aînées et moi, chez nos grands parents paternels. Ma mémé, loquace et gestuelle, était d’origine Italienne, pour un rien elle disait :
- Mama mia
Elle était très connue à Bab El Oued, ou elle était née cinquante ans plus tôt. Les gens continuaient a dire Manuella la ritale, quand ils parlaient d’elle. Quand elle entendait quelqu’un le dire, elle tempêtait sa bronca.
- Purée de vous autres, je suis plus Algéroise que vous, alors fermez la espèces de haloufs Maltais (cochons). Mais cinq minutes après on la voyait discuter et rire, comme si de rien n’était, avec les gens qu’elle venait d’invectiver.
Le mois de Juin fut particulièrement caniculaire à Alger, cette année là, je me souviens que nous passions la soirée ma grande mère, mes sœurs et moi, devant le ventilateur réglé a la troisième vitesse, sur la véranda qui dominait la baie d’Alger l’une des plus belles du monde, disait mémé. Pépé s’il n’était pas au bas de l’escalier de l’immeuble, a discuter avec les voisins, était allongé dans l’obscurité, sur le divan de notre salon ovale, il aimait la chaleur qui calmait ses rhumatismes. Son oreille, à l’affût de la moindre nouvelle, restait toute la soirée collée a la radio meuble, qu’il déménageait du bahut, et qu’il posait sur un tabouret. Mémé n’aimait pas,
- Tu vas finir par le casser, ce trésor, disait elle a l’endroit de pépé.
Ce dernier ne répondait pas, préoccupé par je ne savais quoi ?

Les vacances d’été avaient débuté depuis quelques jours déjà, mais malgré ça, mémé nous empêchait de sortir jouer dans le square ombragé, tout près de notre immeuble, et qui pourtant était la continuation de nos maisons. Dans sa clôture grillagée et ses ficus fièrement centenaires, on était protégé des dangers de la rue, et Gigi le vieux gardien et ami de pépé, qui nous connaissait tous par nos prénoms, veillait comme un père sur nous. Mémé elle -même ne sortait plus comme avant pour faire les courses. Avant de commencer sa journée, qu’elle savait harassante, elle préparait une liste qu’elle remettait à son vieux, comme elle aimait appeler pépé, qui se chargeait des approvisionnements. A notre réveil, il était déjà de retour du marché, aussi au petit déjeuner, nous mangions des brioches encore chaudes envoyées par tonton Emile le boulanger, un cousin de papa. Pour compenser notre manque des loisirs du square, en dehors des heures de sieste, grande mère nous autorisait, mes sœurs et moi, a jouer sur la véranda. Dès que l’une d’entre nous tapait un peu fort sur le carrelage, quand on jouait a la marelle, grande mère criait « Mama mia », et nous comprenions qu’il fallait faire moins de bruit.
Un soir, pépé nous annonça, d’un air grave, qu’on allait partir en vacances du coté de Toulouse. Je ne comprenais pas pourquoi son air était grave, alors que nous partions en vacances. Mes sœurs et moi pensions que Toulouse c’était du coté de Cherchell, et nous étions ravies de partir en vacances pour la première fois.
- Mais non, nous dit grande mère
-Toulouse c’est en France.
-Nous irons dans la famille d’un ami de votre pépé, dans un village pas loin de la montagne noire.
Mais je vous avertis mes grandes, là bas il n’y a pas de plage, et tachez de rester sages, disait elle.
Cette montagne nous angoissait, nous l’imaginions vraiment noire, peuplée de fauves. Pour nous la montagne noire c’était comme l’Afrique noire, territoire des tigres, des lions et des panthères.
Le jour de notre départ de Bab El Oued, il n’y avait ni trolleys, comme on disait a l’époque, ni taxis.
Nous partîmes a pieds de la maison au port, chacun une valise en carton a la main, étant trop petite, grand père prit la mienne,
-Comptez sur vos Tractions 11, nous recommanda ce dernier !! C’était la première fois qu’il prononcait cette expression, je pensais que c’était un vocabulaire d’enfants. Je l’entendais souvent de mes soeurs, quand rentrant de l’école, je n’arrivais pas a aligner mes pas aux leurs,
-Ginette tu as intérêt a bouger tes tractions 11, faisant allusion à la puissante citroên traction 11, mais dans la bouche de mes sœurs ça voulait dire les jambes.
En prononçant cette expression, pépé renvoya mes souvenirs à mon école, son chemin, à mes camarades, ceux qui comme nous, partaient en vacances, et ceux qui restaient, n’ayant pas ou aller, mais surtout a Fatima et Zohra mes meilleures amies que je n’ai plus revues.
Sur le boulevard front de mer qui nous menait au port, grande mère ne cessait de tarabuster son homme.
-Es tu sur d’avoir barrer la porte a double tours ?
-Ouais ne t’inquiètes pas.
- Et les clés, elles sont où ?
-Elles sont dans ma poche, ou veux qu’elles soient, sinon, répondit grand père.
-Non tu me les donnes fissa, tu risques de les perdre, tu n’es pas habitué a les avoir dans la poche.
Apres quelques minutes elle reprenait,
-Dis moi, tu ne m’as pas dit si tu avais éteint le compteur d’électricité ?…..
Elle n’avait cessé sa cascade de questions, qu’aux premiers vomissements dans le bateau qui s’éloignait d’Alger.
Mais avant ça quand nous étions arrivés au port, mes grands parents étaient éreintés et tous les cinq avions le visage et le corps inondés de sueurs. Le port grouillait de monde, et un désordre indescriptible régnait, tel que le décrit mon amie Michele Perret dans son roman « Terre du vent ».
Parmi nous cinq, seul grand père avait pris le bateau auparavant, c’était pour aller faire la guerre et chasser les Bosch, hors de France.
A notre débarquement à Marseille, nous étions malades et crevés de fatigue. Il y avait une foule nombreuse de Marseillais sur les accotements des rues qui menaient du port jusqu'à la gare St Charles. De temps en temps quelqu’un criait.
-Pieds noirs, ne restez pas à Marseille.
- Pieds noirs, continuez votre route.
-Pieds noirs, ne venez pas chez nous, retournez dans votre pays.
En entendant quelques slogans blessants, de grosses larmes restaient collées, certainement par fierté, dans les yeux de mes grands parents. C’était la première fois que je les voyais dans cet état, et nous nous sommes mises a pleurer aussi, mes sœurs et moi, sans vraiment savoir pourquoi ?
- J’étais prêt a mourir pour libérer la France du joug Allemand, et aujourd’hui regardez l’accueil que Gaston Deferre maire de Marseille nous a réservé, dit grand père d’une voix cassée.
A la fin des vacances d’été de 1962, alors que la rentrée scolaire s’annonçait, nous étions encore au pied de la montagne noire. Ne voyant rien venir quant a notre retour a Alger, pépé décida de louer une maison pas loin de celle de son ami, celui même qui nous avait hébergé l’été durant. Des vacances Toulousaines nous n’en sommes jamais revenus. Mes grands parents moururent dans le milieu des années 70, sans jamais revoir leur maison de Bab El Oued, ni les tombes de leurs parents et des miens, tous enterrés au cimetière de Bologhine. Au soir de leur vie, mes grands parents étaient pathétiques, jamais leur discussion ne s’éloignait de Bab El Oued, de ses dédales colorées exhalant des odeurs orientales d’encens et de benjoin, de son souk sonore , de leurs amis d’enfance et de tous leurs voisins dont ils avaient perdu la trace. Mémé, garda jusqu'à sa mort, dans un petit coffret, les clés de sa maison de Bab El Oued, comme si elle gardait la maison elle-même. De temps en temps elle les ressortait pour les imbiber d’huile, et les remettait précieusement dans leur coffret.
-Elles risquent de rouiller, alors autant prévenir, disait elle.
Aujourd’hui encore, quand nous nous rencontrons mes sœurs et moi,
et que nous évoquons mémé et ses clés protégées comme un bijou dans son écrin, nous en pleurons a chaudes larmes. …




N.B : Mon texte n’est qu’une fiction romanesque, le personnage de Ginette est une pure invention de mon imagination. Toute ressemblance avec un fait ou une personne vivante ou décédée, ne sera que simple coïncidence. Je dédie ma nouvelle ci-dessus a ceux de mes amis, qui se reconnaîtront dans mes mots et leurs maux.

Jibril
Re: Ginette des trois horloges
07 juillet 2010, 02:05
Jibril si il n'y avait pas le pépé et l'âge je me serais presque reconnue, merci pour ce texte très émouvant
Re: Ginette des trois horloges
07 juillet 2010, 03:22
Et oui, tous se reconnaitrons dans les memes circonstances de cet exode.
Mes yeux sont encore embués à la lecture de ce récit qui colle à la vérité.
Les responsables de ce drame sont ou iront en enfer, si ce lieu existe.
Re: Ginette des trois horloges
07 juillet 2010, 09:44
Quel texte emouvant et si reel surtout pour moi et cela pour plusieurs raisons...la place des 3horloges etait la ou mon pere travaillait comme coiffeur....ensuite quand nous avons quitte l'Algerie pour la France devinez ou nous avons atterri...?/?a Toulouse et oui la il n'y avait pas de plage et lorsque je languissais ma plage des 2chameaux{saint eugene}je me levais a 4heure du matin pour prendre le train de Narbonne....combien de fois il m'est arrive une fois arrivee a Narbonne de passer ma journe dans un cafe a l'abri de la pluie....mais ce n'etait pas grave j'avais vu la mer....j'avais senti l'odeur de la mer....et pendant un moment je m'etais envolee vers d'autres horizons.....ma belle enfance...
Re: Ginette des trois horloges
29 octobre 2011, 02:25
Moi aussi j'aime bien cette nouvelle...je l'ai écrite d'un trait...dès que je suis rentré dans le personnage de Ginette...le texte s'est écrit de lui même.
Re: Ginette des trois horloges
29 octobre 2011, 09:30
Bonsoir,
Je viens ajouter une pièrre à l'édifice de cette montagne de souvenirs enfouis au fond du coeur de chacun d'entre nous. Cet épisode de notre vie nous aura marqué jusqu'à notre dernier souffle.
J'ai moi aussi fais le trajet à pied vers le port d'embarquement, au petit jour, j'ai moi aussi entendu ces invectives et ces insultes qui faisaient de nous des parias, nous avons pour la plupart, étaient très mal accueillis ici. " Retournez dans votre pays " combien de fois nous l'avons entendu !
Et bien oui ! nous y sommes dans Notre pays, et nous n'en repartirons pas.
Amitiés, Daniel.
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