Quote
Ashkénazes et Séfarades : la rencontre de deux judaïsmes
Alain, Jacob, Alain (bis) et Claude dans l’oratoire séfarade du centre communautaire de Mulhouse. Ils étaient enfants ou jeunes hommes quand leurs familles sont passées du Sud à l’Est. Photo Darek Szuster
La fin de l’Algérie française, il y a 50 ans, a aussi eu un impact sur la communauté juive alsacienne : celle-ci s’est soudain enrichie de sa composante séfarade. Paroles de quelques « Juifs du soleil » établis à Mulhouse.
Un demi-siècle s’est écoulé, mais le soleil ne les a pas quittés. Alain, Jacob, Philippe, Marc et Claude entretiennent, quand ils se croisent, une chaleur très méditerranéenne. A fortiori quand il s’agit d’évoquer la grande affaire de leur vie : le déracinement de la terre algérienne.
« Tu veux embellir les choses ? Moi, j’aime pas les violons ! » Le ton monte, et redescend tout aussi vite. Les yeux ne cessent de sourire, même quand la voix joue la colère. Ce n’est pas une dispute, évidemment, juste une discussion entre amis heureux de se parler. Mais cette fougue permet de mesurer à quel point le contraste a pu être sévère, il y a cinquante ans, entre ceux qui sont venus du Sud et ceux qui les ont accueillis dans l’Est…
« On était des Juifs exubérants, bruyants, des Juifs du soleil, raconte Philippe Hazout, 60 ans. Alors qu’ici, c’étaient des Juifs discrets, cachés, qui n’aimaient pas se montrer… »
Philippe, Alain, Jacob et les autres sont Séfarades. Leurs familles, comme celles des autres rapatriés, chrétiens et musulmans, ont débarqué en France métropolitaine au moment des accords d’Evian et de l’indépendance, en 1962, parce qu’elles n’avaient pas le choix. « À nous aussi, on nous a fait comprendre que c’était la valise ou le cercueil, poursuit Philippe. Pourtant, nous n’avions pas de problèmes particuliers avec les musulmans : nous, nous n’étions pas des colons, mais des commerçants… »
Pour les « Indigènes », les Juifs algériens étaient inclus dans le groupe des « Européens », même si, en réalité, ils étaient Algériens depuis de nombreux siècles : depuis leur expulsion d’Espagne en 1492, voire même depuis la conquête romaine… « On était là-bas avant les Arabes ! », s’amuse Marc Partouche, 63 ans.
Oui, mais voilà : dans cette nouvelle donne, l’ancienneté n’était pas un critère. Il fallut choisir la valise, et changer de destin. Pourquoi l’Alsace ? « C’était imposé, assure Marc. Tout le monde voulait rester dans le Sud, or le travail se trouvait plutôt dans le Nord ou dans l’Est. Mes parents n’ont pas eu le choix : ils ont été dirigés vers Mulhouse. » Et tant pis si le choc fut encore plus violent : « Le pays était froid, les gens étaient froids… » se souvient Jacob Sellam, 59 ans. Dans un premier temps, sa famille fut relogée dans l’ancienne synagogue de Dornach : « On y a vécu à une dizaine pendant deux ou trois mois. On avait installé des cloisons de bois pour avoir un peu d’intimité. Des gouttes tombaient du plafond… »
Longtemps, ce qui sépare les deux communautés est resté plus visible que ce qui les rapproche. Jacob hausse de nouveau le ton : « Mon frère Michel avait une boucherie casher : pas un seul Ashkénaze ne venait chez lui ! » La méfiance a été vaincue, mais les différences demeurent, en particulier lors des cultes : les « Sudistes » lisent à haute voix, les autres à voix basse ; les premiers chantent, les autres murmurent ; ils disent « amen », les autres « omen »…
Aujourd’hui, dans le centre communautaire installé à l’ombre de la grande synagogue de Mulhouse, un couloir dessert deux oratoires : d’un côté, celui des Ashkénazes, de l’autre celui des Séfarades. Les deux pièces se ressemblent beaucoup, mais la seconde paraît plus colorée. « Le vendredi soir et le samedi matin, chacun prie de son côté, explique Jacob. Mais en semaine, comme il faut être un minimum de dix, on s’entraide quand on a besoin de faire le nombre… »
Source : Hervé de Chalendar - L'Alsace.fr - Le 5 mai 2012
Lien => : [
www.lalsace.fr]