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En savoir plus sur les années noires des Juifs d’Algérie (1940-1944)

Envoyé par admin 
En savoir plus sur les années noires des Juifs d’Algérie (1940-1944)
03 janvier 2007, 18:47

Par Cyrano pour Guysen Israël News


L’excellent livre de Benjamin Stora « Les trois exils, Juifs d’Algérie » a laissé plus d’un lecteur sur sa soif.
Soif d’informations sur les camps d’internement du Sud Algérien, sur l’engagement des Juifs d’Algérie dans la guerre, et sur les raisons du retour si tardif à la légalité républicaine après le débarquement allié en Afrique du Nord.
Le but de cet article est de tenter de répondre à ces interrogations.


L’enquête n’a pas été facile : de nombreux livres ont été publiés sur cette période, mais la plupart ne traitent du sort de la communauté juive d’Algérie que de façon succincte. Une exception : le livre de Michel Ansky « Les Juifs d’Algérie du décret Crémieux à la libération » (1). Publié par le Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), cet ouvrage est préfacé par le Professeur Henri Aboulker, grande figure de la résistance française à Alger en 1942. Il aborde les thèmes cités plus haut de façon exhaustive.
Des entretiens avec un ancien des Forces Françaises Libres, Charles C., et un ancien du camp de Bedeau, Albert S. m’ont permis de recueillir des témoignages inédits (2).

Les camps d’internement du Sud Algérien

- Avant le 8 novembre 1942
Entre 1940 et 1942, les autorités de Vichy ont créé une douzaine de camps d’internement, pour la plupart dans le Sud Algérien.
Les premiers occupants furent des étrangers, Juifs ou non, ayant servi comme volontaires dans les Forces françaises pendant la guerre contre les puissances de l’Axe et devenus indésirables après l’armistice. D’abord internés dans des camps du midi de la France, ils ont été transférés en Algérie en 1940 et 1941.
Ils ont été bientôt rejoints par des prisonniers politiques, francs-maçons et communistes, puis par les conscrits Juifs régulièrement mobilisés avec leur classe, mais enrôlés « à part ». Le réseau des camps comportait des régimes de sévérité inégale : il valait mieux être dans un « groupement de travailleurs étrangers » que dans un « centre de séjour surveillé ».
Les plus redoutables étaient les camps disciplinaires, comme celui de Djenen-bou-Rezg (Sud Oranais), véritable bagne dont les gardiens - souvent des sous-officiers ou d’anciens sous-officiers la Légion étrangère, parfois des membres d’une milice fasciste, le « Service d’Ordre Légionnaire » - maniaient la cravache et usaient de sévices corporels, notamment le cruel « supplice du tombeau ».
Les conditions de détention – notamment la sous-alimentation, les températures extrêmes, l’hygiène déplorable - ont provoqué chez les captifs des maladies graves et parfois la mort.

- Après le 8 novembre 1942
Le nombre de camps et de détenus s’est accru à partir de janvier 1943 - deux mois après le débarquement américain ! -, avec la mobilisation de nouveaux conscrits, « Juifs indigènes » exclus des unités combattantes et dont le statut officiel était celui de « pionniers israélites ». Le tristement célèbre camp de Bedeau (Sud Oranais), « l’un des plus durs, reçut en quelques mois plus de 12 000 Juifs des classes 33 à 43 » (1).
Une mesure lourde de signification : dans ce camp, les tenues militaires ont été remplacées par des tenues civiles noires, ce qui valait aux conscrits le surnom de « corbeaux ».
Donnons la parole à un ancien de Bedeau :
« Pour un jeune soldat, débarquer d’un train dans le sud désertique et se voir encadré par d’autres soldats baïonnette au canon, tout comme des prisonniers, c’était légèrement offensant déjà… Puis nous connaissons notre premier rassemblement, le capitaine De Lisane s’adresse à nous : « Vous autres Juifs, vous n’aurez pas l’honneur de porter les armes, mais vous aurez des pelles et des pioches » (3).
Et en effet les « pionniers » ont passé le plus clair de leur temps à casser des cailloux ou à ramasser de l’alfa, ce qui occasionnait des lésions aux mains, sous le soleil africain. Ceux qui exprimaient des sentiments pro-Alliés étaient insultés, battus et punis de prison. Paradoxalement, on offrait à ces « Juifs indigènes » la possibilité de s’engager dans des troupes de choc, les « Corps Francs » mais ils ont vite compris qu’un tel engagement équivalait à un arrêt de mort.

-Une dissolution laborieuse
La dissolution des camps n’a commencé que fin avril 1943; encore faut-il préciser que les libérations se sont faites au compte-gouttes pour les différentes catégories de détenus. Le rétablissement d’une situation normale a duré plusieurs mois et s’est effectué dans la plus grande confusion.
Ce n’est qu’en juin-juillet 1943 que les nouvelles recrues et quelques anciennes furent affectées dans les corps de leur choix.

-Le jugement des bourreaux
En 1944, quelques responsables des camps ont été jugés par des tribunaux militaires et deux des pires tortionnaires ont été fusillés.
Certains gardes ont été condamnés à des peines de prison, mais la plupart n’ont pas été inquiétés.

L’engagement des Juifs d’Algérie dans les forces alliées, de Cassino à Belfort

La politique antisémite ouvertement déclarée de Giraud (comme celle de Darlan) était d’écarter les Juifs du combat contre les Allemands.
Malgré le pouvoir vichyste, la participation des Juifs algériens à la guerre a été massive :
- Il y eut d’abord de nombreuses évasions de conscrits juifs des centres où ils étaient parqués. Ces « désertions » s’effectuaient dans des conditions périlleuses, en raison du zèle de gendarmes à la gâchette facile.
Certains « pionniers » ont rejoint la division Leclerc (la future 2e Dcool smiley en Libye ou en Tunisie. D’autres, comme Charles C., en mai 1943, après un périple depuis le camp de Cheragas, (localité proche d’Alger), jusqu’à Tunis dans un camion de l’armée britannique, ont été incorporés dans la « Première Division Française Libre » ; cette division, sous les ordres du général Koenig, s’était illustrée à Bir-Hakeim et El-Alamein.
-Lorsque les camps ont été enfin dissous, d’anciens « pionniers », en grand nombre, ont été intégrés dans les unités combattantes, la plupart préférant les Forces Françaises Libres (FFL) à « l’armée Giraud ».
Ainsi de nombreux Juifs d’Algérie ont participé à la campagne d’Italie avec la sanglante bataille de Cassino, puis au débarquement allié sur la côte méditerranéenne française et à la libération de la France.

Le retour (tardif) à la légalité républicaine

Au nom du réalisme, un dialogue s’est noué entre les autorités américaines et les représentants de Vichy, Darlan et Giraud.
De ce fait, on a mis de côté le « problème juif » laissant en l’état la situation des 125 000 Juifs d’Algérie.
La conférence d’Anfa (Casablanca, Maroc) a réuni en janvier 1943 Roosevelt, Churchill, Giraud et de Gaulle.
Sous la pression, Giraud, alors seul au pouvoir à Alger, a dû s’engager à libérer les 27 résistants du 8 novembre 1942 jetés en prison après l’assassinat de Darlan.
Mais le retour à la légalité a demandé de longs mois malgré l’éviction de Giraud et la prise des commandes par de Gaulle, car les cadres administratifs, civils et militaires, antisémites et pétainistes, « sabotaient les notes de service et les circulaires ministérielles » (1).

Le poids de la presse

La presse a joué un rôle de premier plan dans le renversement du pouvoir de Vichy en Algérie.
Des journalistes français exprimaient leur opposition aux autorités dans des publications semi-clandestines comme Combat et Le Canard dissident.
Surtout, des correspondants de guerre américains et britanniques ont alerté l’opinion publique des Etats-Unis et de Grande-Bretagne par leurs reportages sur l’Afrique du Nord «libérée», tandis que les fameux éditorialistes Walter Lipmann et Dorothy Thompson interpellaient avec virulence leurs dirigeants, jugés responsables d’écrire une « page noire de l’histoire des Etats-Unis » (4).
Il est terrible d’apprendre que :
- le Président Franklin D. Roosevelt, qui n’appréciait guère le général de Gaulle, a approuvé les accords déshonorants passés avec les représentants de Vichy, accords inspirés par une politique « d’expédients militaires » ;
- Robert Murphy, consul américain à Alger, a fermé les yeux sur les arrestations arbitraires du 30 décembre 1942, considérant qu’il s’agissait d’une « affaire franco-française ».
Le maintien du régime de Vichy et des lois raciales en Algérie n’aurait pas été possible sans le « laisser-faire » des Etats-Unis.

Le silence des historiens

Les victimes du régime de Vichy ont gardé un souvenir amer de cette période, tel Albert S. « incorporé » à Bedeau, qui n’a pas oublié les humiliations quotidiennes, la faim, le froid nocturne du désert - comme ses camarades, il dormait sous la tente à même le sol -, les coupures des mains provoquées chaque jour par le ramassage de l’alfa…
Le terme d’inconfort est bien faible pour décrire ces conditions de vie ; mais cet ancien de Bedeau n’ose pas se plaindre outre mesure, en évoquant le sort des internés du Sud algérien qui ont été torturés ou y ont laissé la vie.
On comprend que la plupart de nos contemporains ignorent ces faits : vous n’en trouverez aucune trace dans des livres d’histoire relatant la Deuxième Guerre mondiale et, à de rares exceptions près, ces faits sont rapportés de façon sommaire dans les ouvrages spécialisés.

Sources

1- Michel Ansky. Les Juifs d’Algérie du décret Crémieux à la Libération. Préface de Henri Aboulker. Postface de André Philip et Pierre Paraf. Editons du CDJC. Paris, 1950. 374 pages.
2- Interviews réalisées par l’auteur en décembre 2006 de Charles C. et Albert S.
3- Docteur Claude Lasry. Une petite guerre. Texte inédit. 1989
4- Wikipédia. Régime de Vichy en Afrique libérée (1942-1943) : www.wikipedia.org

Pour en savoir plus :
Norbert Belange. Quand Vichy internait ses soldats Juifs d'Algérie. Bedeau, Sud Oranais, 1941-1943. Ed. L’Harmattan. Paris, 2006. 312 pages. ISBN : 2-7475-9760-1

Vous pouvez lire la critique du livre « Les trois exils - Juifs d’Algérie» de Benjamin Stora

Photo (DR) : le général Henri Giraud (1879-1949)
Re: En savoir plus sur les années noires des Juifs d’Algérie (1940-1944)
12 février 2007, 06:24
bonsoir admin.
vous avez écrit:


"La politique antisémite ouvertement déclarée de Giraud (comme celle de Darlan) était d’écarter les Juifs du combat contre les Allemands".

est-ce les historiens se sont penchés sur ce détail ? EN PLUS j'ai jamais compris les causes , ni les intéréts qu'avait le gouvernement de vichy à s'allier avec le fachisme allemand, surtout dans le cadre de cette sale besogne qui fut envers la population de confession juive.
Bonjour,

Pour compléter cette sombre période, j'ai eu une mère qui travaillait au PTT à Tlemcen avant la guerre, renvoyé dans les années 1940 et jamais réintégrée.

Salutations
Maurice
Re: En savoir plus sur les années noires des Juifs d’Algérie (1940-1944)
08 avril 2011, 06:57
Bonjour,
J'ai justement une question à propos de cette période.
Dans quelle mesure les juifs algérois ont-ils été inquiétés pendant la guerre ?
Mon père est né en 1926 à Biskra et je trouvais bizarre qu'il ne nous ait jamais dit quoique ce soit de particulier de ce qui se passait en algérie pendant la guerre.
Samuel
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