Enrico Macias en ses pays, par Alain Lompech
LE MONDE
Depuis le temps qu'Enrico Macias est là, on a fini par ne pas lui accorder plus d'attention qu'à un vieux fauteuil qu'on aime pourtant beaucoup pour son confort. Aussi, c'est intrigué qu'on a regardé le reportage qu'"Envoyé spécial" consacrait, jeudi soir, au chanteur et musicien, sur France 2.
De l'enfance en Algérie, de l'apprentissage avec Raymond Leiris de cette musique arabo-andalouse que Macias chante très bien, à cette rencontre avec Shimon Pérès auquel une ancienne amitié le lie, en passant par une tournée en Egypte, c'est à une belle évocation que nous conviait donc le service public.
L'arrivée en France, les premiers concerts, l'évocation de "tonton" Raymond, le grand musicien assassiné par le FLN juste à la fin de la guerre d'Algérie, la voix agile, virtuose, impeccablement juste dans les mélopées murmurées en fond de gorge, si longues qu'on en perd le souffle suspendu à leur résolution, et cette sorte de joie nostalgique qui étreint toujours un peu, bien qu'on s'en défende parfois, quand on entend aussi certains tubes... Macias chante et c'est l'irruption de vieux souvenirs d'une France bercée par Les Gens du Nord, Enfants de tous pays, l'accent des pieds-noirs arrivés en masse avec les harkis, des chansons qui ont forgé notre identité, comme La Javanaise de Gainsbourg, Il pleut sur Nantes de Barbara.
Et puis le grain de sable. Un concert est annoncé à Ivry. Un groupe, qui se déclare palestinien, exige son annulation. Le concert sera finalement donné, dans une ambiance un peu tendue, avec un courage certain de la part du chanteur. En plein air, tout peut arriver. Dans la loge, un jeune vigile, musulman, retire de la chaîne qu'il a autour du cou une petite Algérie d'or qu'il donne au chanteur en lui disant ces mots : "Si quelqu'un touche à Enrico, il touche à la culture, à l'Algérie ; prends c'est pour toi." Macias répond : "Au lieu de se battre, les minorités devraient s'unir et s'entendre, là elles font le jeu du Front national." Paroles un peu naïves, simples en tout cas, mais justes. Elles résonnent avec celles de ce chauffeur de taxi algérien, et musulman lui aussi, qui lui demande de venir en Algérie : "Tout le peuple vous y attend." Il veut bien Macias, le juif, mais l'invitation qui lui avait été faite a été annulée au dernier moment.
Macias est ambassadeur de bonne volonté de l'Unesco et il chante partout pour la paix au Proche-Orient. En Egypte, où il est très connu, il est accueilli comme un prince et chante devant des salles combles, comme dans la quasi-totalité des pays qu'il visite, à l'exception de quelques républiques islamiques où, de toute façon, la musique est interdite. Ce n'est quand même pas dans un faubourg français qu'on aurait pu faire taire ce troubadour des temps modernes.
Alain Lompech