Marylise Benhaim
Myriam Ben était le pseudonyme de Marylise Ben Haim, née à Alger le 10 octobre 1928, de Moïse Ben Haim, expert-comptable et interprète d’arabe, et de Sultana Stora, sans profession. Elle avait un frère et une sœur aînés, Pierre et Myriam, et aura un frère cadet, Guy. D’ascendance andalouse par sa mère, issue d’une famille de musiciens juifs d’Espagne qui avaient trouvé refuge en Algérie après l’expulsion de 1492, et berbère par son père, descendant de tribu berbère judaïsée des Ben Mochi qui se réfugièrent dans les Aurès lorsque les Français occupèrent Constantine, elle a su mieux que quiconque préserver la fidélité à ce double héritage profondément enraciné dans la terre d’Algérie. Toujours, elle fut fidèle à l’enseignement de son père : « Il ne m’est patrie que ma terre natale El DJEZAIR », même aux heures les plus noires de sa vie, lorsque sa patrie elle-même la rejeta. La France, qui lui avait donné sa nationalité et sa langue maternelle, la rejettera aussi au cours de la Seconde guerre mondiale, en lui retirant sa nationalité française.
Myriam Ben par elle-même ou la formation d’une militante
Dans ses mémoires, qu’elle publie en 1999, Quand les cartes sont truquées, elle relatera la rage et le désarroi de ces heures noires, quand à treize ans, avant qu’elle ne soit exclue du Lycée Fromentin d’Alger, il lui fallut remettre à la surveillante sa carte de lycéenne qu’on lui remplaça par une autre qui portait la mention « juive indigène » à la place de la nationalité française . En vertu de la loi du 7 octobre 1940, le gouvernement de Vichy avait abrogé le Décret Crémieux qui en octobre 1870 avait accordé la nationalité française aux juifs indigènes des départements d’Algérie. Le retrait de la nationalité fut accompagné d’additifs qui instituaient notamment un numerus clausus d’élèves juifs à l’université, dans les lycées et dans les écoles. Elle dira aussi dans ses mémoires la colère de son père devant les imprimés du recensement des juifs, et son refus de l’inscrire à l’école Maïmonide, l’école juive qui n’avait pas fermé mais dont il craignait l’influence sioniste. Interdite d’école, elle veut mourir et essaye de s’en donner les moyens. La doctoresse lui avait dit un jour « Tu sais, si tu attrapes froid, tu peux mourir » alors, elle qui n’avait plus le droit de fréquenter le lycée qu’elle adorait, décida un jour qu’elle était seule à la maison que c’était le moment d’attraper froid. Elle se découvrit, enleva pulls et lainage et se mit au balcon, sous la pluie et le vent. Sauvée d’une terrible pneumonie, elle en gardera toujours des séquelles. Mais le repos forcé lui permit de recevoir des leçons de piano à domicile, et la musique, dira t-elle, changea sa vie.
C’est aussi à cette période qu’elle se lie aux Jeunesses anarchistes et commence à distribuer Le Libertaire, jusqu’à ce que son père l’en dissuade en lui faisant remarquer que les anarchistes étaient aussi contre le débarquement allié que sa famille attendent « comme d’autres attendent le Messie ». Trois mois après le débarquement américain à Alger du 8 novembre 1942, les juifs sont autorisés à réintégrer les écoles dont ils ont été chassés. Pour sa rentrée de « revenante », son père lui donne à nouveau enseignement brutal : il la conduit au bidonville dans lequel vit une pauvre femme qui leur vend ses cartes d’alimentation. Il lui montre le bébé accroché à son sein tari et lui : « Tant qu’elle n’aura rien à donner à téter à son enfant, toi tu ne seras pas un être libre. Tu seras un jour française et un jour non. Donc toute ta vie tu devras t’intéresser à ce qu’il se passe dans le bidonville, pour qu’il disparaisse, qu’il disparaisse. » Elle l’entendit parfaitement et dira cinquante ans plus tard : « De ma vie entière, je ne devais jamais oublier cette leçon qui détermina toute mon activité militante depuis l’âge de treize ans et jusqu’à aujourd’hui . » De manière indirecte, sa mère aussi contribuera largement à sa formation politique en proposant d’accueillir chez elle le doyen des vingt-sept députés communistes enfermés depuis 1940 à Maison Carrée, la prison d’Alger, qui avaient été libérés après le débarquement. Jusque-là peu intéressée au sort de ces députés, sa mère avait réagi en entendant qu’il y avait parmi eux un Lévy qu’elle alla immédiatement chercher. Il vint chez eux avec sa malle, et les livres qu’elle contenait devinrent pendant des années les livres de chevet de la jeune Marylise, en particulier les quatorze tomes des Thibault de Roger Martin du Gard qu’elle lu et relu avec une passion jamais assouvie.
C’est par le Docteur Lévy qu’elle et sa famille firent la connaissance des autres députés communistes en résidence surveillée à Alger, notamment de Prosper Moquet, dont une rue d’Alger avait porté le nom de son fils, Guy Moquet, fusillé à dix-sept ans par les Allemands. Après l’indépendance, sa rue fut débaptisée, de même que celle des frères Martel, eux aussi fusillés par les Allemands, et dont le père faisait aussi partie des députés communistes exilés à Alger.
Marylise a alors quinze ans, et son frère Pierre, devenu secrétaire des Jeunesses communistes d’Alger refuse toujours de l’y faire entrer, jusqu’à l’intervention d’Henri Alleg qui avait pressenti en elle la militante qu’elle restera toujours. Parallèlement à ses premières confrontations aux forces de l’ordre qui tirent sur le défilé du 1er mai 1945 auquel elle participe avec le syndicat des dockers, sa mère lui permit à nouveau de mesurer l’authenticité de leur attachement à l’Algérie. Pour les premières élections organisées en Algérie après la guerre, le gouvernement français avait institué deux collèges d’électeurs. Ses parents auxquels on avait redonné la nationalité française, appartenaient au « premier collège », mais le secrétaire des « Amis du manifeste », un parti nationaliste algérien, vint solliciter son père d’être candidat sur la liste du deuxième collège, réservé aux indigènes. Il refusa, arguant de son apolitisme, mais sa mère, elle, accepta, et rendit sa carte du premier collège déclarant : « Il y a à peine quelques semaines, j’avais une carte d’identité me déclarant « juive indigène ». Alors je le suis encore. » Elle fut ainsi candidate sur la liste du deuxième collège conduite par le professeur Hamza Boubaker , et n’eut aucun problème, parlant l’arabe, pour participer à plusieurs réunions électorales tenues dans leur quartier à l’école de la Redoute. Sultana Ben Haim ne fut pas élue, mais sa candidature fait partie de la saga familiale, au même titre que la demande qu’elle fit à Hamza Boubaker de célébrer le mariage de sa fille aînée. Myriam Ben qui relata elle-même ces épisodes, tint aussi à rappeler que sa grand-mère et sa mère, à peine âgée de huit jours, ont apporté la première pierre à cette saga.
C’était en 1898, un jour qu’elle se trouvait sur la place du Gouvernement, qu’elle appelait toujours place El’roud (place du cheval), que sa grand-mère assista au saccage des magasins juifs perpétré sur l’ordre de Max Régis. Consciente qu’elle assistait à un début de pogrom, elle alla trouver le commissaire de police et signa sa déclaration. Quelques temps après, elle fut convoquée pour témoigner contre Max Régis à Toulouse. Elle venait tout juste d’accoucher, mais se rendit au procès avec son mari et son bébé dans les bras et témoigna de ce qu’elle avait vu et entendu à Alger. Ma mère, écrira Myriam Ben, fut l’héroïne de ce procès : « Tous les journaux parurent couverts des photos de ce merveilleux bébé à la robe blanche en dentelle, qui vola la vedette au beau Max, ce tueur, beau comme un Dieu. »
Après son baccalauréat, le père de Marylise aurait voulu qu’elle soit médecin, un rêve que lui-même n’avait pas pu réaliser. Mais, la jeune fille avait peur du sang et elle refusa. Elle se plia au rêve de sa mère qui, elle, aurait voulu être institutrice. En 1952, elle est nommée institutrice suppléante au village d’Aboutville. L’école est délabrée et le directeur lui annonce qu’elle n’aura que six élèves parce les Arabes n’osent pas y envoyer leurs enfants qui n’ont ni pantalons ni chaussures. La jeune institutrice ira elle-même demander aux parents qu’ils envoient quand même leurs enfants à l’école : « J’ai bien dit sans chaussures. L’école est chauffée. Ils ont tous une tête . » L’année suivante elle est nommée à Oued Fodda, à dix kilomètres d’Orléansville. « C’est là que me rejoignis la guerre de Libération.
C’est là que je découvris, outre la lutte clandestine menée dans les rangs de la Révolution algérienne, le vrai visage du combat . » En février 1955, deux dirigeants communistes qu’elle connaissait d’Alger viennent à Oued Fodda l’informer que le Parti l’a désignée pour être un « combattant de la liberté », un titre qu’elle reçoit avec bonheur. Elle devint ainsi l’agent de liaison d’Abd-el-Hamid Boudiaf, responsable politique du maquis rouge de l’Ouarsenis où furent tués Henri Maillot, Maurice Laban et bien d’autres. Très vite, elle a su que les cartes étaient truqués, que les informations qu’on lui communiquait étaient fausses, que les traîtres étaient partout « J’avais monté, un par un, tous les échelons qui conduisent à l’apprentissage de la déception. Moi qui avais rêvé que je dansais sur un arc-en-ciel, je levai un regard interrogateur sur mon désenchantement. »
Là s’arrêtent, avant l’indépendance de son pays, les mémoires de Myriam Ben, Quand les cartes sont truquées, parues en 1999 et dont les dernières lignes sont pour Henri Maillot, son ami de jeunesse assassiné, alors qu’elle survécut.
Survivre alors que ses camarades de combat son morts
Recherchée en août 1956 par la police, elle abandonne son poste d’institutrice et entre dans la clandestinité. En 1957, lors du procès dit des « 21 de Blida », son nom est associé à ceux du maquis de l’Ouarsenis. Inculpée d’atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’état, d’attentats à main armée, et d’autres délits, elle est condamnée par contumace à vingt ans de travaux forcés en 1958 par le tribunal militaire d’Alger. Sa famille, harcelée et menacée par l’OAS, quitte l’Algérie pour Marseille, tandis qu’elle fera le choix de rester en Algérie.
Après l’indépendance, elle reprend, non sans difficultés administratives, ses activités d’enseignante et est nommée par le nouveau gouvernement maîtresse d’application, puis conseiller pédagogique à l’École Normale de Bouzaréa. Sa santé est fragile, et très éprouvée par ses douloureuses années de guerre, elle doit interrompre des fonctions en 1964. En vertu d’accords entre le nouveau gouvernement algérien et la Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale (M.G.E.N.) elle part se faire soigner en France. Ce sera en fait un exil forcé qui durera près de dix ans. En 1965, lorsque Houari Boumedienne prend le pouvoir, il pourchasse et fait torturer les communistes algériens. Tous ceux qui se trouvent à l’extérieur du pays comme Myriam Ben, ne peuvent y revenir, leurs noms étant fichés à la frontière.
Paris, 1964-1974
Durant ces dix ans, Myriam Ben noue des relations affectueuses avec Gilberte Lenoir, une ancienne résistante , qui l’adopte afin de pouvoir l’héberger légalement. Elle met à profit ces années pour reprendre des études à la Sorbonne où elle soutient une thèse en histoire moderne (sujet ?), et continue ses engagements politiques par ses écrits. En 1967, sa pièce de théâtre Leïla est lue au Théâtre National de l’Ouest de Paris par Mohamed Boudia et ses comédiens.
extraits de Leïla :
en 1974, nouvelle dans Les Temps modernes
Peinture :
Cimaise de Paris, 1973
Salon d’Automne à Neuilly-sur-Marne, 1974
Salon des Superindépendants, Paris, 1973, 1974
Retour en Algérie 1974-1990 : peintre et écrivain
Qu’est-ce qui permet son retour ?
De retour en Algérie, elle est chargée de l’organisation de l’enseignement des langues étrangères et des sciences sociales à l’Institut National des Hydrocarbures, à Boumerdès où elle exerce de 1974 jusqu’à sa retraite en 1986.
La peinture et l’écriture, qui sont pour elle les armes privilégiées de ses combats humanistes, prennent une place de plus en plus importante dans sa vie. Après la publication de plusieurs de ses nouvelles dans Les Temps modernes, et les premières expositions auxquelles elle avait participé en France, elle va multiplier les expositions dans son pays.
Centre culturel de la Willaya d’Alger, 1976, 1978, 1979, 1982, 1983, 1986
Foyer des travailleurs de la SN Métal, juin 1978
Exposition de 40 peintres à travers toute l’Algérie, 1980
Expo, voyages compléter
Son premier ouvrage, Ainsi naquit un homme, paraît à Alger en 1982. C’est un recueil de contes et de nouvelles sur la guerre de Libération nationale en Algérie dont plusieurs avaient déjà été publiées dans Les Temps modernes. Le suivant sera un recueil de poésie, Sur le chemin de nos pas, qui paraît à Paris, en 1984. Son roman, Sabrina, ils t’ont volé ta vie (1986) qui dénonce par la voix de son héroïne, la condition faite à femme dans la société algérienne a marqué toute une génération d’algériennes. L’une d’elle, Fatiha Kada Benabdallah, consacrera en 2001 à ce roman, un mémoire de DEA à l’Université de Cergy-Pontoise. (Elle envoya son travail à Myriam Ben qui l’invita à la rencontrer. de là naquit sa lettre refaire)
Elle est membre de l’Union des écrivains algériens, de l’Union nationale des anciens Moudjahidines [combattants de la libération] et du Mouvement des femmes algériennes.
Vice-présidente du Comité d’Alger de la Ligue algérienne des Droits de l’Homme, et membre du Comité directeur de cette ligue.
Lorsque paraît son deuxième recueil de poésies, Au carrefour des sacrifices (1992), puis ses mémoires, Quand les cartes sont truquées (1999), Myriam Ben a quitté l’Algérie. Au début des années 1990 les luttes fratricides qui ensanglantent son pays l’ont contrainte à reprendre le chemin de l’exil, et c’est dans le Vaucluse qu’elle passera les dernières années de sa vie. Elle y poursuit ses activités d’écrivain et de peintre et est invitée à plusieurs reprises à exposer ses œuvres en Allemagne.
En 1994, elle est sollicitée par le Forum Femmes Méditerranée de Marseille pour présider un jury chargé de récompenser une auteure non encore publiée. Après avoir hésité à accepter cette invitation, tant elle est préoccupée par la vague d’assassinats en Algérie, Myriam présidera finalement pendant plusieurs fois le jury de ce Forum qui récompense et publie chaque année, sur un thème donné, des nouvelles écrites par des femmes de tout le pourtour méditerranéen.