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Ginette des trois horloges.

Envoyé par jibril 
Ginette des trois horloges.
15 janvier 2012, 21:21
Pour Mihal, Corinne...et toutes celles qui, dans leurs maux, se reconnaitront dans mes mots.


Ginette des trois horloges de Bab El Oued.

Par Jibril Daho



Juin 1962, Alger, dans sa moiteur estivale vivait dans l’incertitude contextuelle mêlée a l’angoisse intense de l’âme de ceux qui comme nous, partaient. Je n’avais que six ans, mais je me rappelle comme si celà datait d'hier, de cette époque houleuse. A l’école mes camarades m’appelaient Ginette des trois horloges, vous l’aurez deviné c’était parce que j’habitais tout près des trois horloges, sceau emblématique qui caractérisait Bab El Oued, le plus grand quartier populaire d’Alger. Mes parents étaient morts dans un accident d’auto quand j’avais deux ans. Mon papa était d’origine métropolitaine et ma maman, comme me l’avait appris mémé, était fière de ses racines Espagnoles. Tous deux nés a Bab El Oued, ils se connaissaient depuis toujours, leurs parents étaient voisins, amis et collègues, ils travaillaient ensemble à l’usine de Gaz. A la retraite de pépé, mon papa fut embauché à sa place comme opérateur chaudière, mais ma mère était femme au foyer et s’occupait de nous élever. Apres le décès de mes parents nous vivions, mes deux sœurs aînées et moi, chez nos grands parents paternels. Ma mémé, loquace et gestuelle, était d’origine Italienne, pour un rien elle disait :

- Mama mia

Elle était très connue à Bab El Oued, ou elle était née cinquante ans plus tôt. Les gens continuaient a l'appeler Manuella la ritale, quand ils parlaient d’elle. Quand elle entendait quelqu’un le dire, elle tempêtait sa bronca.

- Purée de vous autres, je suis plus Algéroise que vous, alors fermez la espèces de haloufs Maltais (cochons). Mais cinq minutes après on la voyait discuter et rire, comme si de rien n’était, avec les gens qu’elle venait d’invectiver.

Le mois de Juin fut particulièrement caniculaire à Alger, cette année là, je me souviens que nous passions la soirée ma grande mère, mes sœurs et moi, devant le ventilateur réglé a la troisième vitesse, sur la véranda qui dominait la baie d’Alger l’une des plus belles du monde, disait mémé. Pépé s’il n’était pas au bas de l’escalier de l’immeuble, a discuter avec les voisins, était allongé dans l’obscurité sur le divan de notre salon ovale. Il aimait la chaleur parce qu'elle calmait ses rhumatismes. Son oreille, à l’affût de la moindre nouvelle, restait toute la soirée collée a la radio meuble, qu’il déménageait du bahut, et qu’il posait sur un tabouret. Mémé n’aimait pas,

- Tu vas finir par le casser, ce trésor, disait elle a l’endroit de pépé.

Ce dernier ne répondait pas, préoccupé par je ne savais quoi ?



Les vacances d’été avaient débuté depuis quelques jours déjà, mais malgré ça, mémé nous empêchait de sortir jouer dans le square ombragé, tout près de notre immeuble, et qui pourtant était la continuation de nos maisons. Dans sa clôture grillagée et ses ficus fièrement centenaires, on était protégé des dangers de la rue, et Gigi le vieux gardien et ami de pépé, qui nous connaissait tous par nos prénoms, veillait comme un père sur nous. Mémé elle -même ne sortait plus comme avant pour faire les courses. Avant de commencer sa journée, qu’elle savait harassante, elle préparait une liste qu’elle remettait à son vieux, comme elle aimait appeler pépé, qui se chargeait des commissions. A notre réveil, il était déjà de retour du marché, aussi au petit déjeuner, nous mangions des brioches encore chaudes envoyées par tonton Emile le boulanger, un cousin de papa. Pour compenser notre manque des loisir du square, en dehors des heures de sieste, grande mère nous autorisait a jouer sur la véranda. Dès que l’une d’entre nous tapait un peu fort sur le carrelage, quand on jouait a la marelle, grande mère criait : Mama mia ! et nous comprenions qu’il fallait faire moins de bruit.

Un soir, pépé nous annonça, d’un air grave, qu’on allait partir en vacances du coté de Toulouse. Je ne comprenais pas pourquoi son air était grave, alors que nous partions en vacances. Mes sœurs et moi pensions que Toulouse c’était du coté de Cherchell, et nous étions ravies de partir en vacances pour la première fois.

- Mais non, nous dit grande mère

-Toulouse c’est en Métropole.

-Nous irons chez un ami de votre pépé, dans un village pas loin de la montagne noire.

Mais je vous avertis mes grandes, là bas il n’y a pas de plage, et tachez de rester sages, disait elle.

Cette montagne nous angoissait, nous imaginions qu’elle était vraiment noire, peuplée de fauves. Pour nous montagne noire, c’était comme Afrique noire territoire des lions et des panthères.

Le jour de notre départ de Bab El Oued, il n’y avait ni trolleys, comme on disait a l’époque, ni taxis.

Nous partîmes a pieds de la maison au port, chacun une valise en carton a la main, étant trop petite, grand père prit la mienne.

-Comptez sur vos Tractions 11, nous recommanda ce dernier. C’était la première fois qu’il le disait, je pensais que c’était un vocabulaire d’enfants. Je l’entendais souvent de mes soeurs, quand rentrant de l’école, je n’arrivais pas a aligner mes pas aux leurs,

-Ginette tu as intérêt a bouger tes tractions 11, faisant allusion à la puissante citroên traction 11, mais dans la bouche de mes sœurs ça voulait dire les jambes.

En prononçant cette expression, pépé renvoya mes souvenirs à mon école, son chemin, à mes camarades, ceux qui comme nous, partaient en vacances, et ceux qui restaient, n’ayant pas ou aller, mais surtout a Fatima et Zohra mes meilleures amies que je n’ai plus revues.

Sur le boulevard front de mer qui nous menait au port, grande mère ne cessait de tarabuster son homme.

-Es tu sur d’avoir fermé la porte a double tours ?

-Ouais ne t’inquiètes pas.

- Et les clés, elles sont où ?

-Elles sont dans ma poche, ou veux qu’elles soient, sinon, répondit grand père.

-Non tu me les donnes, tu risques de les perdre, tu n’es pas habitué a les avoir dans la poche.

Après quelques minutes elle reprenait,

-Dis moi, tu ne m’as pas dit si tu avais éteint le compteur d’électricité ?…..

Elle n’avait cessé sa cascade de questions, qu’aux premiers vomissements dans le bateau qui s’éloignait d’Alger.

Mais avant ça quand nous étions arrivés au port, mes grands parents étaient éreintés et tous les cinq avions le visage et le corps inondés de sueurs. Le port grouillait de monde, exactement comme le décrit fidèlement la talentueuse romancière MICHELE PERRET dans « TERRE DU VENT », dans son roman a grand succès, sorti récemment aux éditions l’Harmatan.

Parmi nous cinq, seul grand père avait pris le bateau auparavant, c’était pour aller faire la guerre et chasser les Bosch, hors de France.

A notre débarquement à Marseille, nous étions malades et crevés de fatigue. Il y avait plein de Marseillais sur les accotements des rues qui menaient du port jusqu'à la gare St Charles. De temps en temps quelqu’un criait.

-Pieds noirs, ne restez pas à Marseille.

- Pieds noirs, continuez votre route.

-Pieds noirs, retournez dans votre pays

En entendant quelques slogans blessants, de grosses larmes restaient collées, certainement par fierté, dans les yeux de mes grands parents. C’était la première fois que je les voyais dans cet état, et nous nous étions mises a pleurer aussi, mes sœurs et moi, sans vraiment savoir pourquoi ?

- J’étais prêt a mourir pour libérer la France du joug Allemand, et aujourd’hui regardez l’accueil que Gaston Deferre maire de Marseille nous a réservé, dit grand père d’une voix cassée.

A la fin des vacances d’été de 1962, nous étions encore au pied de la montagne noire. Ne voyant rien venir quant à notre retour sur Alger, pépé décida de louer une maison pas loin de celle de son ami, celui même qui nous avait hébergé l’été durant. Des vacances Toulousaines nous n'en étions jamais revenus. Mes grands parents moururent dans le milieu des années 70, sans jamais revoir leur maison de Bab El Oued, ni les tombes de leurs parents et des miens, tous enterrés au cimetière Chrétien de St Eugène. Au soir de leur vie, mes grands parents étaient pathétiques, jamais leur discussion ne s’éloignait de Bab El Oued, de ses dédales, de son marché, de leurs amis d’enfance et de leurs voisins, dont ils avaient tous perdu la trace. Mémé, garda jusqu'à sa mort, dans un petit coffret, les clés de sa maison de Bab El Oued, comme si elle gardait la maison elle-même. De temps en temps elle les ressortait pour les imbiber d’huile, et les remettait précieusement dans leur coffret.

-Elles risquent de rouiller, alors autant prévenir, disait elle.

Aujourd’hui encore, mes sœurs et moi, quand nous nous rencontrons et que nous évoquons mémé et ses clés protégées comme un bijou dans son écrin, nous en pleurons a chaudes larmes.

A présent j’ai 54 ans, je suis grande mère a mon tour, j’ai construit ma vie en France, et mes enfants ont réussi leur vie, l’un d’eux ingénieur, m’a fissa initiée a l’informatique, et depuis je surfe sur internet, je redécouvre le pays, la ville et le quartier qui furent les miens, celui de mes parents et de mes grands parents. Depuis peu, je suis sur face book ou j’ai fait connaissance avec bezef de personnes de là bas, clodile de Cap Falcon, Maria de Tiaret, gabriel de Saida, Mimi de Bel Abbes, mais aussi Mohamed d’Alger, Ali de Constantine et tant d’autres que je ne peux tous citer, j’avoue qu’ils m’apportent tous beaucoup, de leur amitié, je me délecte.

Nul ne sait ou il va, s’il ne sait pas d’où il vient disait mémé, de peur qu’on oublie nos origines. Que mémé, qui nous regarde du ciel, soit rassurée, dans ma famille nous ne l’oublierons jamais. Moi, fièrement, je l’inscris sur tous mes profils internet, notamment celui de FB ou je l’ai noté en majuscule.



GINETTE DELABA

NEE LE 23 JUILLET 1956 A BAB EL OUED.



N.B: Mon texte, n’est qu’une fiction romanesque, le personnage de Ginette est une pure invention de mon imagination. Toute ressemblance avec un fait ou une personne vivante ou décédée, ne sera que simple coïncidence. Je dédie affectueusement ma nouvelle ci dessus à mes amis, particulièrement ceux qui se reconnaîtront dans mes mots et leurs maux.



le 13 juin 2010



Jibril Daho.
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